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sa jeunesse, et ne lui rendant pas les honneurs dus à l’antique hospitalité qui l’unissait à leur république. Il est vrai que son aïeul y avait renoncé ; mais lui-même avait compté la renouveler par les services qu’il avait rendus aux prisonniers de Sphactérie. Il croyait donc qu’on lui avait manqué à tous égards, et il commença dès lors à parler contre les Lacédémoniens, les représentant comme des hommes peu sûrs, qui n’avaient traité avec Athènes que pour détruire la puissance des Argiens à la faveur de cette alliance, et tourner ensuite leurs armes contre cette république, quand elle serait réduite à elle-même. Dès que la dissension se fut mise entre les deux peuples, il dépêcha en particulier des émissaires aux Argiens, pour les presser de venir à Athènes, avec les Mantinéens et les Éléens, inviter cette république à leur alliance ; il leur faisait déclarer que l’occasion était favorable, et qu’il embrasserait fortement leurs intérêts.

XLIV. Les Argiens, sur cet avis, et sur la nouvelle qu’il s’était fait une alliance entre Lacédémone et la Bœotie sans la participation d’Athènes, et qu’il s’élevait de grands différends entre les deux états, ne s’occupèrent plus des députés qu’ils avaient envoyés à Lacédémone pour y négocier un accommodement. Ils aimaient mieux tourner leurs pensées vers Athènes. Ils jugeaient que, s’il leur survenait des guerres, cette république, qui était leur amie de toute antiquité, qui, comme eux, avait un gouvernement populaire, et dont la marine était puissante, combattrait avec eux. Ils y envoyèrent donc aussitôt des députés négocier un traité d’alliance. Les Éléens et les Mantinéens se joignirent à cette députation. Il ne tarda pas non plus à en arriver une de Lacédémone : elle était composée d’hommes qu’on croyait devoir être agréables aux Athéniens, Philocharidas, Léon et Endius. On les avait fait partir dans la crainte que les Athéniens irrités ne traitassent avec Argos ; on voulait aussi demander l’échange de Pylos contre Panactum, et se justifier sur l’alliance contractée avec la Bœotie, mesure que n’avait inspirée aucun mauvais dessein contre Athènes.

XLV. Quand les députés eurent touché ces points dans le sénat, et déclaré qu’ils avaient de pleins pouvoirs pour accorder tous les différends, Alcibiade eut peur qu’ils n’entraînassent la multitude s’ils s’exprimaient de même devant le peuple, et que l’alliance d’Argos ne fût rejetée. Voici ce qu’il machina contre eux. Il leur persuada de ne pas avouer devant le peuple qu’ils étaient chargés de pleins pouvoirs, assurant qu’il leur obtiendrait la restitution de Pylos. Il ajouta qu’il lui serait aussi facile de disposer le peuple en leur faveur, que de s’opposer, dès l’instant même, à leur demande, et qu’il mettrait fin à toutes les contestations. Il avait pour objet de les brouiller avec Nicias, de les perdre dans l’esprit du peuple, comme des gens qui ne savaient jamais être sincères ni s’en tenir à leur parole, et par ce moyen, de faire admettre les Argiens, les Éléens et les Mantinéens dans l’alliance d’Athènes : c’est ce qui arriva. Les députés se présentèrent à l’assemblée du peuple ; sur les questions qu’on leur fit, ils ne répondirent pas, comme dans le sénat, qu’ils avaient de pleins pouvoirs, et dès lors les Athéniens ne purent plus se contenir. Alcibiade déclama contre eux plus violemment que jamais ; les Athéniens l’écoutèrent, et ils allaient aussitôt faire entrer les Argiens et ceux qui les accompagnaient, et les déclarer alliés de la république ; mais, avant qu’il y eût rien d’arrêté, il survint un tremblement de terre, et l’assemblée fut remise.

XLVI. A l’assemblée suivante, quoique les Lacédémoniens, trompés les premiers, eussent trompé Nicias en désavouant leurs pouvoirs, il n’en déclara pas moins que le meilleur parti était d’avoir pour amie Lacédémone, de suspendre les négociations avec Argos et d’envoyer savoir les intentions des Lacédémoniens. Il assurait que suspendre la guerre était un honneur pour Athènes, une humiliation pour Lacédémone ; que les affaires des Athéniens étant dans un état florissant. la meilleure politique était pour eux de ménager leur prospérité ; au lieu que, pour les Lacédémoniens qui étaient dans le malheur, c’était un expédient que de se jeter au plus tôt dans les hasards. Il obtint qu’on enverrait des députés, et lui-même fut du nombre. Leur mission était d’exiger que les Lacédémoniens, s’ils avaient des intentions justes, rendissent Panactum en bon état, restituassent Amphipolis, et abjurassent l’alliance des Bœotiens, conformément à l’article qui portait que l’une des deux