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CXXV. Pendant qu’ils étaient ainsi partagés d’opinions, on vint leur annoncer que les Illyriens, trahissant Perdiccas, s’étaient joints à Arrhibée. Alors les deux chefs se déclarèrent également pour la retraite, dans la crainte que leur inspirait ce peuple belliqueux ; mais, comme ils étaient toujours mal d’accord, il n’y eut rien de déterminé sur le moment du départ ; la nuit survint ; les Macédoniens et la foule des Barbares furent saisis d’effroi, comme il arrive aux grandes armées de se livrer à de folles terreurs. Ils se figurèrent que les ennemis s’avançaient bien plus nombreux qu’ils n’étaient en effet, et qu’à l’instant ils allaient paraître ; ils se mirent en fuite, et prirent la route de leur pays. Perdiccas ne s’était pas aperçu d’abord de leur mouvement : ils le forcèrent à les suivre avant qu’il pût voir Brasidas : leurs camps étaient fort éloignés l’un de l’autre. Brasidas apprit au lever de l’aurore que les Macédoniens étaient partis, qu’Arrhibée et les Illyriens approchaient. Il assembla ses forces, et fît un bataillon carré, plaça les troupes légères dans le centre, et résolut de partir. Pour éviter toute surprise, il donna l’emploi de coureurs à ses plus jeunes guerriers. Lui-même, avec trois cents hommes d’élite, ferma la marche pour protéger la retraite, et faire face aux premiers qui viendraient l’attaquer. En attendant que l’ennemi pût l’atteindre, il profita du peu de temps qui lui restait pour adressera ses troupes quelques mots d’encouragement ; il leur parla ainsi :

CXXVI. « Si je ne soupçonnais pas, ô Péloponnésiens, qu’abandonnés à vous-mêmes, et près d’être attaqués par une multitude de Barbares, vous éprouvez quelque crainte, content de vous exciter au combat, je ne songerais pas à vous donner des leçons ; mais en cet instant où nos alliés nous abandonnent, où s’approchent de nombreux ennemis, je vais, par des avis succincts, par de courtes exhortations, essayer de vous persuader des vérités importantes. Ce n’est pas l’assistance de vos alliés, mais votre propre vertu qui doit vous inspirer de la valeur, et le nombre de vos ennemis doit être incapable de vous épouvanter. Votre patrie n’est pas de celles où la multitude l’emporte sur le petit nombre ; mais c’est, chez vous, le petit nombre qui gouverne le plus grand, et il ne doit la puissance dont il jouit qu’à sa supériorité dans les combats. C’est maintenant faute de les connaître que vous craignez les Barbares ; apprenez, et par les occasions que vous avez eues de les combattre avec les Macédoniens, et par ce que je puis conjecturer, ou par ce que d’autres m’ont appris, qu’ils seront bien peu redoutables. S’il arrive que des ennemis, faibles en effet, aient une apparence de force, instruit de ce qu’ils valent, on se défend contre eux avec plus de confiance ; et si l’on ne connaît pas d’avance des ennemis d’une valeur inébranlable, on se porte contre eux avec trop de témérité. Ces Barbares, quand on ne les a pas encore éprouvés, sont effrayans à l’approche du combat ; leur extérieur gigantesque inspire la terreur, leurs horribles cris glacent d’épouvante : à les voir secouer vainement leurs armes, ils ont quelque chose de menaçant : restez inébranlables devant eux, ils ne sont plus les mêmes. Comme ils ne gardent point de rangs, ils abandonnent sans pudeur, aussitôt qu’on les presse, la place où ils combattaient. Ils mettent autant de gloire à fuir qu’à s’avancer, et peuvent manquer de courage, sans pouvoir en être convaincus. Chacun d’eux, dans les combats, ne dépendant que de lui-même, peut se procurer à son choix d’honnêtes prétextes de se sauver. Ils trouvent plus sûr de nous inspirer de l’effroi, sans courir aucun danger, que d’en venir aux mains ; car déjà, sans doute, ils nous auraient attaqués. Vous voyez clairement que ce qu’ils ont pour vous de si terrible est en effet peu de chose, et que ce qui vous effraie n’est que de l’apparence et du bruit. Osez braver et soutenir cette première impression, et quand le moment sera favorable, faites lentement votre retraite en bon ordre, et sans rompre les rangs ; bientôt vous vous trouverez en sûreté. Vous saurez par la suite que pour ceux qui ne s’effraient pas de leur premier aspect, ces bandes indisciplinées ne savent que faire de loin, et par de vaines menaces, parade de courage ; mais dès qu’on leur cède, comme elles ne voient plus de danger à courir, elles montrent leur valeur en poursuivant avec légèreté les fuyards. »

CXXVII. Après ce discours, Brasidas fit faire à son armée un mouvement en arrière : les Barbares s’aperçurent de cette manœuvre, et s’avancèrent en tumulte, poussant de grands cris : c’est qu’ils la prenaient pour une fuite, et croyaient, pour détruire les Grecs, n’avoir que la peine de