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partie de la Thrace qui avait été sous la domination de Sitalcès.

CII. Le même hiver[1], Brasidas, avec les alliés de Thrace, marcha contre Amphipolis, colonie d’Athènes, sur le fleuve Strymon. Aristagoras de Milet, fuyant la colère de Darius, avait tenté le premier d’établir une colonie à l’endroit même où est aujourd’hui cette ville ; mais il avait été chassé par les Édoniens. Trente-deux ans après, Athènes y envoya dix mille hommes ; c’étaient des Athéniens et tous ceux des autres pays qui voulurent y aller ; ils furent détruits à Drabesque par les Thraces. Au bout de vingt-neuf ans, les Athéniens revinrent avec Agnon, fils de Nicias, chargé d’établir la colonie ; ils chassèrent les Édoniens, et firent leur fondation à l’endroit qu’on nommait auparavant les Sept Voies. Ils étaient partis d’Éion, comptoir maritime qu’ils possédaient à l’embouchure du fleuve, à cinq cents stades[2] de la ville, qu’on appelle aujourd’hui Amphipolis. Agnon la nomma ainsi, parce que, de deux côtés, elle est baignée par le Strymon : cette situation la rendait commode à fortifier, en tirant un long mur d’une partie du fleuve à l’autre. Elle se fait remarquer du côté de la mer et de celui du continent.

CIII. Brasidas partit d’Arné, dans la Chalcldique, et marcha contre cette place avec son armée[3]. Il arriva sur le soir à Aulon et à Bromisque, à l’endroit où le lac Bolbê se jette dans la mer. Il y soupa, et continua sa marche pendant la nuit. Le temps était mauvais, et il tombait un peu de neige ; mais il n’eut que plus d’empressement à s’avancer, voulant cacher son approche aux habitans, à ceux du moins qui n’étaient pas du nombre des traîtres ; car il demeurait dans la ville des gens d’Argila, colonie d’Andros, et plusieurs autres qui étaient avec lui d’intelligence, les uns gagnés par Perdiccas, et les autres par les Chalcidiens ; mais surtout ceux d’Argila, en qualité de voisins, et parce que les Athéniens les avaient toujours regardés comme suspects. Ils en voulaient à cette ville, et saisirent l’arrivée de Brasidas comme une occasion favorable. Déjà, depuis long-temps, ils complotaient avec ceux de leurs concitoyens qui avaient des établissemens dans la place pour la faire livrer. Ils reçurent Brasidas, déclarèrent dans cette nuit leur révolte contre Athènes ; et, avant le lever de l’aurore, ils conduisirent l’armée au pont qui est bâti sur le fleuve. La ville est à plus de distance du pont que celui-ci n’a de longueur ; il n’y avait point encore en cet endroit de murailles comme aujourd’hui, mais seulement un faible corps de garde, que Brasidas eut peu de peine à forcer, favorisé surtout à la fois par une trahison, par le mauvais temps et par la surprise que causait son arrivée. Il passa le pont, et fut maître à l’instant même de tout ce que les habitans possédaient au dehors.

CIV. Comme on était loin de s’attendre à l’arrivée de Brasidas, et que des citoyens qui logeaient hors de la ville, un grand nombre se trouvaient prisonniers, tandis que les autres s’étaient réfugiés dans la place, les habitans d’Amphipolis éprouvaient une agitation d’autant plus terrible qu’ils étaient entre eux dans la défiance. On dit même que si Brasidas avait empêché ses troupes de se livrer au pillage, et qu’il fût entré tout à coup dans la ville, il est probable qu’il l’eût prise d’emblée ; mais il perdit le temps à camper, il fit des courses dans la campagne, et comme, de l’intérieur de la place, il n’arrivait rien de ce qu’il attendait, il se tint en repos. Le parti opposé aux traîtres était le plus nombreux ; il empêcha d’ouvrir à l’instant les portes, et dépêcha quelques personnes avec le général athénien Eucleès, commandant de la place, auprès d’un autre général qui avait du commandement dans la Thrace, et qui se trouvait à Thasos : c’était Thucydide, fils d’Olorus, auteur de cette histoire. Thasos est une île où les Pariens ont fondé une colonie. Elle est éloignée d’Amphipolis d’une demi-journée tout au plus de navigation. On lui manda de venir au secours. Sur cet avis, il mit en mer à l’instant avec sept vaisseaux qui se trouvaient à Thasos. Il avait surtout à cœur d’arriver assez tôt pour empêcher Amphipolis d’écouter aucune proposition ; sinon, il voulait du moins occuper Éion avant les ennemis.

CV. Cependant Brasidas craignait que les vaisseaux de Thasos ne vinssent apporter du secours : il apprenait que Thucydide possédait,

  1. Toujours en novembre.
  2. A peu près trois lieues et demie.
  3. Avant la fin de décembre.