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tes ; et nous si nous sommes vaincus, il ne nous restera pas, de tout notre pays, une seule limite qui ne soit contestée. Entrés sur nos terres, les Athéniens s’empareront de nos biens par la force, tant leur voisinage est, pour nous, le plus dangereux de tous. Quand on vient, comme eux aujourd’hui, attaquer ses voisins avec l’audace qu’inspire la force, on marche contre eux avec moins de crainte s’ils restent tranquilles et ne font que se défendre sur leur terrain ; mais on garde avec eux plus de réserve quand ils s’avancent hors de leurs frontières, et quand ils sont les premiers, si l’occasion s’en présente, à offrir le combat. Nous en avons eu la preuve contre ces mêmes Athéniens. Une fois leurs vainqueurs à Coronée, lorsqu’ils occupaient notre pays à la faveur de nos dissensions, nous avons conservé jusqu’à ce jour dans la Bœotie la plus grande sécurité. Rappelez-vous-en le souvenir, vous, ô vieillards, pour être semblables à ce que vous fûtes autrefois ; et vous, jeunes gens, enfans de ces hommes qui se montrèrent si valeureux, pour ne pas déshonorer des vertus qui sont votre héritage. Mettez votre confiance au dieu dont ils occupent le terrain sacré ; ce terrain que, par un sacrilège, ils viennent de fortifier. Il vous protégera ; croyez-en les sacrifices que vous avez offerts, et qui se montrent propices. Marchez à vos ennemis : qu’ils aillent satisfaire leur ambition en attaquant des peuples qui ne se défendent pas ; mais apprenez-leur qu’avec des nations généreuses qui combattent toujours pour la liberté de leur patrie, et jamais pour détruire celle des autres, ils ne se retireront pas sans avoir eu des combats à soutenir. »

XCIII. Ce fut par de telles paroles que Pagondas sut persuader à ses soldats d’aller aux Athéniens. Aussitôt il les fit marcher, et se mit à leur tête : il était déjà tard. Arrivé près du camp des ennemis, il prit un poste où les deux armées, séparées par une éminence, ne pouvaient se voir l’une l’autre, rangea ses troupes, et se tint prêt au combat. Hippocrate était à Délium ; il reçut avis que les Bœotiens s’approchaient, et fit porter à l’armée l’ordre de se mettre en bataille. Lui-même arriva peu de temps après, laissant à Délium aux environs de trois cents chevaux pour garder la place en cas d’accident, et pour épier le moment de tomber sur l’ennemi pendant l’action. Les Bœotiens leur opposèrent des troupes, et toutes leurs dispositions faites, ils parurent sur le sommet de la colline, et prirent les rangs suivant l’ordre dans lequel ils devaient combattre. Ils étaient au nombre d’environ sept mille hoplites, de plus de dix mille hommes de troupes légères, de mille hommes de cavalerie et de cinq cents peltastes. Les citoyens et habitans de Thèbes formaient l’aile droite ; au centre étaient ceux d’Aliarte, de Coronée, de Copée. et des autres endroits qui environnent le lac Copaïde ; à la gauche étaient les troupes de Thespies, de Tanagra et d’Orchomène. A chaque aile étaient distribuées de la cavalerie et des troupes légères. Les Thébains étaient rangés sur vingt-cinq de front, et les autres comme ils se trouvaient. Telles étaient les dispositions et l’ordonnance des Bœotiens.

XCIV. Du côté des Athéniens, les hoplites, rangés sur huit de front, étaient égaux en nombre à ceux des ennemis. Quant aux troupes légères, quoiqu’on en eut fait une levée, il ne s’en trouvait point alors à l’armée ; il n’y en avait même point à la ville. A compter ce qui s’était mis en campagne, ils auraient été supérieurs aux Bœotiens ; mais la plupart avaient suivi sans armes, parce qu’on avait fait une levée générale de tout ce qui s’était trouvé d’étrangers et de citoyens, et dès qu’ils se furent mis à retourner chez eux, il n’en resta plus qu’un petit nombre. On était en ordre de bataille, et l’action allait s’engager, quand Hippocrate parcourut les rangs pour encourager les troupes, et leur parla ainsi :

XCV. « Le temps ne me permet que de vous dire peu de mots, ô Athéniens ; mais adressés à des hommes de cœur, ils auront autant de pouvoir que de longs discours. J’ai moins à vous donner des ordres qu’à vous rappeler le souvenir de votre courage. Si c’est dans une terre étrangère que nous bravons de si grands hasards, ne croyez pas que le succès doive vous être étranger. Dans le pays des Bœotiens, vous combattrez pour le vôtre ; et si nous sommes vainqueurs, jamais les Péloponnésiens, privés de la cavalerie bœotienne ne feront d’invasions sur vos terres. En un seul combat, vous ferez la conquête d’un pays ennemi, et vous affermirez la liberté de l’Attique. Marchez, et montrez-vous dignes d’une patrie que vous regardez comme la première de la Grèce ; dignes de vos