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core plus qu’auparavant, les yeux ouverts sur leurs alliés.

LXXXIII. Perdiccas joignit ses forces aux troupes de Brasidas, et fit aussitôt la guerre à Arrhibée, fils de Bromère, roi des Lyncestes-Macédoniens. Les états de ce prince touchaient aux siens ; il y avait entre eux des différends, et il voulait le renverser du trône. L’armée était près d’entrer chez les Lyncestes, quand Brasidas déclara qu’avant de commencer les hostilités il voulait avoir des conférences avec le prince, et essayer s’il ne pourrait pas l’engager dans l’alliance de Lacédémone. Arrhibée avait déjà fait annoncer parr un héraut qu’il était prêt à reconnaître ce général pour arbitre ; d’ailleurs, les députés de la Chalcidique étaient auprès de Brasidas, et l’avertissaient de ne pas mettre Perdiccas au-dessus de toute crainte, si l’on voulait qu’il servit leur cause avec plus de zèle. Enfin les députés que Perdiccas lui-même avait envoyés à Lacédémone avaient assuré qu’il ferait entrer dans l’alliance de cette république bien des pays dont il était entouré. Brasidas crut donc, pour l’avantage commun, devoir surtout favoriser les intérêts d’Arrhibée. En vain Perdiccas représenta qu’il n’avait pas mandé le général lacédémonien comme un juge de ses querelles avec le roi des Lyncestes, mais pour être délivré, par son secours, des ennemis qu’il lui ferait connaître ; et qu’on ne pouvait, sans injustice, pendant qu’il nourrissait la moitié des troupes, entrer en conférence avec Arrhibée. En dépit de toutes ces réclamations, Brasidas prit connaissance des différends des deux princes, et gagné par les raisons du roi des Lyncestes, il retira son armée avant qu’elle fût entrée sur ses terres. Perdiccas se crut offensé, et ne fournit plus qu’un tiers des subsistances au lieu de la moitié.

LXXXIV. Le même été[1], un peu avant les vendanges, Brasidas, avec les Chalcidiens, marcha contre Acanthe, colonie d’Andros. Deux factions partageaient cette ville ; l’une, qui favorisait les Chalcidiens, l’avait elle-même appelé ; l’autre était celle du peuple. Elles eurent entre elles de grandes altercations pour le recevoir. Mais comme on craignait pour les fruits qui n’étaient point encore serrés, Brasidas parvint à persuader au peuple de le recevoir seul, et de délibérer après l’avoir entendu. Il s’avança au milieu de l’assemblée, et comme il ne manquait pas d’éloquence pour un Lacédémonien, il leur parla ainsi :

LXXXV. « Les Lacédémoniens, en me faisant partir avec une armée, ont confirmé ce que nous déclarâmes dès le commencement de la guerre, que c’était pour affranchir la Grèce que nous allions combattre les Athéniens. Si nous arrivons bien tard, trompés par le sort des armes dans les espérances que nous avions conçues de réduire bientôt nous-mêmes les Athéniens sans avoir besoin de vous faire partager nos périls, c’est ce que personne ne doit nous reprocher. Nous arrivons au moment où les circonstances nous le permettent ; et c’est avec vous que nous essaierons de détruire la puissance d’Athènes. Je suis étonné que vous m’ayez fermé vos portes, et j’admire si vous ne voyez point avec joie mon arrivée. En nous rendant auprès de vous, nous pensions que les Lacédémoniens allaient trouver des alliés qui l’étaient par le cœur avant de l’être en effet ; nous nous flattions que vous aspiriez au moment de le devenir ; et c’est dans cette pensée que, franchissant une route d’un grand nombre de journées, à travers des contrées étrangères, nous nous sommes jetés de tout notre zèle dans de si grands hasards. Il serait cruel que vous eussiez d’autres sentimens, et que vous fussiez vous-mêmes contraires à votre propre délivrance et à celle du reste des Grecs. Ce ne serait pas seulement vous opposer à nos efforts : mais les autres peuples auprès de qui je pourrai me rendre en seraient moins portés à se joindre à moi : ils se montreraient d’autant plus difficiles, que vous, les premiers à qui je me sois adressé, vous, citoyens d’une importante cité, vous dont on croit devoir estimer la prudence, vous n’auriez pas voulu me recevoir. Et je n’aurai point à donner des raisons satisfaisantes de votre refus ; il semblera que je n’apporte qu’une liberté perfide, ou que, si les Athéniens viennent vous attaquer, je n’aie pas la force de vous défendre : cependant avec cette même armée que je commande, lorsque j’ai porté des secours à Nisée, les Athéniens, quoique supérieurs en nombre, n’ont pas voulu risquer le combat. Et il n’est pas à croire qu’ils envoient contre vous des troupes aussi nombreuses que l’était l’armée navale qu’ils avaient à Nisée.

  1. Au mois d’août.