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la mer, et vint à Chalcédon, colonie de Mégare, à l’embouchure du Pont-Euxin.

LXXVI.Le même été, Démosthène, général athénien, n’eut pas plus tôt quitté la Mégaride, qu’il vint à Naupacte avec quarante vaisseaux. Quelques habitans des villes de la Bœotie manœuvraient avec lui et avec Hippocrate, pour changer la constitution de leur pays, et la convertir en un gouvernement populaire, tel que celui d’Athènes. C’était surtout Ptœodore, banni de Thèbes, qui conduisait celle intrigue. Voici comment ils en préparaient le succès. Quelques traîtres devaient leur livrer Siphès, place maritime de la campagne de Thespies, sur le golfe de Crisa. D’autres, sortis d’Orchomène, autrefois surnommé Minyen, et aujourd’hui Bœotien, s’engageaient aussi à faire tomber dans leurs mains Chéronée, place limitrophe de cette ville. C’étaient les bannis d’Orchomène qui avaient la plus grande part à ce complot ; ils soudoyèrent des troupes dans le Péloponnèse Chéronée est la dernière ville de la Bœotie, du côté de la Phanotide, dans les champs de Phocée. Aussi quelques Phocéens entrèrent-ils dans cette intrigue. Il fallait que les Athéniens prissent Délium, lieu consacré à Apollon, dans la Tanagrée, du côté de l’Eubée. Tous ces coups devaient se frapper à la fois dans un jour déterminé, pour que les Bœotiens, assez agités de ce que chacun d’eux éprouverait autour de lui, ne pussent se réunir, et porter des secours à la place. Si la tentative réussissait, et qu’on parvînt à fortifier Délium, il n’était pas nécessaire qu’il se fît aussitôt une révolution dans le gouvernement de la Bœotie : les Athéniens maîtres de ces lieux, ravageant les campagnes, et ayant un asile peu éloigné, avaient raison d’espérer que les affaires ne resteraient pas dans le même état, et qu’ils sauraient bien avec le temps les amener au point qu’ils désiraient : ils n’auraient besoin, pour cela, que de se joindre aux factieux, et ils ne craindraient pas de voir les Bœotiens réunir contre eux toute leur puissance. Telle était l’entreprise qui se formait.

LXXVII. Hippocrate devait marcher, quand il en serait temps, contre les Bœotiens, à la tête des troupes d’Athènes. Il envoya d’avance Démosthène à Naupacte avec quarante vaisseaux, pour rassembler dans ce pays les troupes des Acarnanes et des autres alliés, et faire voile vers Syphès qui lui devait être livré par trahison. Le jour était convenu entre eux, et tout devait s’exécuter à la fois. Démosthène, à son arrivée. reçut dans l’alliance d’Athènes les Œniades. que les Acarnanes obligeaient d’y entrer ; il rassembla tous les alliés de ces cantons, et s’avança d’abord contre Salynthius et les Agræens, ses sujets. Après avoir soumis tout le reste, il ne songeait plus qu’à remplir, au moment où il le faudrait, ses desseins sur Syphès.

LXXVIII. À cette même époque de l’été, Brasidas partit pour l’expédition de Thrace avec dix-sept cents hoplites. Arrivé à Héraclée, dans la Trachinie, il envoya un message à Pharsale, inviter les gens du pays, qui étaient amis de Lacédémone, à servir de guides à son armée à travers la Thessalie. Panærus, Dorus, Hippolochidas, Torylas et Strophacus, ce dernier uni aux Chalcidiens par les nœuds de l’hospitalité, vinrent le trouver à Mélitie d’Achaïe, et alors il se mit en marche. D’autres Thessaliens voulaient aussi le conduire, entre autres Niconidas, ami de Perdiccas, qui vint le trouver de Larisse ; car en général il n’est pas sur de traverser la Thessalie sans guides, et surtout avec des armes. D’ailleurs, chez les Grecs même, on se rendrait suspect en passant à travers le pays de ses voisins sans avoir obtenu leur agrément : ajoutons que, de tout temps, en Thessalie, la multitude a eu de l’inclination pour les Athéniens ; et si ces peuples vivaient dans l’égalité des droits, au lieu d’être soumis à un pouvoir, jamais Brasidas n’eût franchi cette contrée. Il y eut même des Thessaliens d’un parti contraire à celui de ses guides, qui vinrent à sa rencontre sur les bords du fleuve Énipée, et voulurent s’opposer a son passage ; ils lui dirent que c’était une insulte de s’engager dans leur pays sans l’aveu commun de la nation. Ses guides répondirent qu’ils n’avaient pas l’intention de lui faire traverser leur pays contre leur gré, mais qu’ils étaient ses hôtes ; qu’il s’était présenté sans qu’on l’attendît, et qu’ils avaient cru devoir l’accompagner. Brasidas lui-même représenta que c’était comme ami des Thessaliens qu’il entrait dans leur pays, qu’il ne portait pas les armes contre eux, mais contre les Athéniens ; qu’il ne croyait pas qu’il y eût entre la Thessalie et Lacédémone aucune inimitié qui dût empêcher les deux peuples de voyager les uns chez les autres ; qu’il n’irait pas