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ce dont ils avaient besoin. Ils commencèrent la construction en partant du mur dont ils étaient maîtres, la conduisirent transversalement du côté de Mégare, en la prolongeant de part et d’autre, jusqu’à la mer de Nisée. L’armée se distribua le travail des murs et du fossé ; on se servit des bois et des briques du faubourg ; on coupa des arbres dans la forêt, on palissada les endroits qui exigeaient cette sûreté, et les maisons du faubourg, en recevant des créneaux, furent elles-mêmes changées en fortifications. Toute la journée fut consacrée à ce travail, et le lendemain, vers le soir, le mur était presque entièrement terminé. Les gens qui se trouvaient renfermés dans Nisée furent saisis de crainte ; ils manquaient de vivres, et avaient coutume d’en tirer journellement de la ville supérieure ; ils ne s’attendaient pas à recevoir promptement des secours de la part des Péloponnésiens, et ils regardaient les Mégariens comme leurs ennemis. Ils capitulèrent donc, consentant à se racheter pour une somme d’argent par tête, à livrer leurs armes et à laisser aux Athéniens prendre le parti qu’ils voudraient sur les Lacédémoniens, sur le commandant et sur tous ceux qui ne seraient pas compris dans le traité. Ils sortirent à ces conditions ; les Athéniens démolirent les longues murailles qui partaient de Mégare, et, maîtres de Nisée, ils firent leurs autres dispositions.

LXX. Dans ces conjonctures, Brasidas de Lacédémone, fils de Tellis, était aux environs de Corinthe occupé à rassembler une armée pour la Thrace. A la nouvelle de la prise des murs, craignant pour les Péloponnésiens de Nisée, et même pour Mégare, il manda aux Bœotiens de se trouver à la rencontre de son armée à Tripodisque : c’est un bourg de Mégaride, au pied du mont Géranie : lui-même partit avec deux mille sept cents hoplites de Corinthe, quatre cents de Phlionte, six cents de Sicyone, et tout ce qu’il avait déjà rassemblé de troupes. Il comptait prévenir la prise de Nisée. Sur la nouvelle qu’elle était rendue, comme il était parti de nuit pour Tripodisque, il prit avec lui, avant qu’on sût rien de son arrivée, quatre cents hommes d’élite, et s’approcha de Mégare, sans être aperçu des Athéniens qui étaient sur le rivage. Il voulait, disait-il, faire une tentative sur Nisée, et tel était son dessein si l’entreprise était praticable ; mais son principal objet était d’entrer dans Mégare, et de mettre la ville en sûreté. Il pria les habitans de le recevoir, leur témoignant qu’il ne désespérait pas de reprendre Nisée.

LXXI. Mais les deux factions de Mégare avaient chacune leurs craintes : l’une qu’en faisant rentrer les exilés, il ne la chassât elle-même ; l’autre que le peuple, dans cette appréhension, ne se jetât sur elle, et que la ville, ayant la guerre dans son sein, ne devint la proie des Athéniens qui la guettaient. On ne le reçut donc pas, et les deux partis résolurent de rester tranquilles observateurs de l’événement : ils s’attendaient à un combat entre les Athéniens et ceux qui venaient au secours de la place, et pensaient qu’il y aurait plus de sûreté pour celui qui se trouverait du parti du vainqueur, de se joindre à lui après la victoire. Brasidas n’ayant pu obtenir ce qu’il voulait, regagna le gros de son armée.

LXXII. Dès le lever de l’aurore parurent les Bœotiens. Même avant le message de Brasidas, ils avaient résolu de venir au secours de Mégare, ne croyant pas que le danger de cette place leur dût être étranger. D’ailleurs ils se trouvaient déjà dans le pays de Platée avec toutes leurs forces : mais l’arrivée de ce message ajouta beaucoup à leur première ardeur. Ils envoyèrent donc à Brasidas deux mille deux cents hoplites, et six cents hommes de cavalerie, et s’en retournèrent avec le reste. On ne comptait pas dans toute l’armée moins de six mille hoplites. Ceux d’Athènes se tenaient rangés autour de Nisée et sur le bord de la mer, et les troupes légères étaient éparses dans la plaine. La cavalerie bœotienne tomba sur ces dernières, et leur causa d’autant plus de surprise, que jusqu’alors il n’était encore de nulle part venu de secours aux Mégariens : ils les poussèrent jusqu’à la mer. La cavalerie d’Athènes vint faire face à celle de Bœotie : le choc dura long-temps, et les deux partis se vantèrent de n’avoir pas eu le dessous. Il est bien vrai que les Athéniens poussèrent, du côté de Nisée, le commandant de la cavalerie bœotienne et un petit nombre de ses cavaliers, qu’ils tuèrent et s’emparèrent de leurs dépouilles ; que maîtres de leurs corps, ils donnèrent aux ennemis la permission de les enlever et qu’ils élevèrent un trophée : mais à prendre l’action tout entière, on se sépara des deux côtés sans finir par remporter un avantage certain. Les Bœotiens