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hoplites que commandait Hippocrate. Ils se mirent en embuscade dans un fossé qui n’était pas loin et d’où l’on avait tiré de la terre à briques pour la construction des murailles. Le corps aux ordres de Démosthène, l’autre général, les troupes légères de Platée, et les coureurs[1], se placèrent dans l’enceinte du temple de Mars qui est encore moins éloigné de la ville. Personne à Mégare, excepté ceux qui devaient conduire l’entreprise de cette nuit, ne savait rien de ces dispositions.

Voici le stratagème que, peu avant le lever de l’aurore, employèrent ceux de Mégare qui trahissaient leur patrie. Il y avait déjà longtemps que, par une permission qu’ils avaient obtenue en caressant le commandant de la porte, ils avaient coutume de se la faire ouvrir, et de transporter de nuit à la mer, sur une charrette, à travers le fossé, un canot à deux rames, pour exercer la piraterie, ils restaient en mer, et, avant le jour, ils rapportaient la barque sur la charrette, et la faisaient rentrer par la porte, pour que les Athéniens, ne voyant aucun bâtiment dans le port, ne pussent avoir aucun soupçon.

Dans la nuit dont nous parlons, la charrette était déjà devant la porte ; elle s’ouvrit comme à l’ordinaire pour faire rentrer le canot, et les Athéniens, avec qui l’on était d’intelligence, accoururent de leur embuscade pour arriver avant qu’elle ne se fermât. Ils saisirent le moment où la charrette la traversait et en empêchait la clôture, et à l’aide des Mégariens qui étaient du complot, ils tuèrent les gardes. Les Platéens et les coureurs aux ordres de Démosthène volèrent à l’endroit où est à présent le trophée. Il y eut un combat au-delà des portes, entre eux et les Pêloponnésiens, qui, n’étant pas éloignés, avaient entendu ce qui se passait, et venaient apporter du secours. Les Platéens remportèrent la victoire, et tinrent la porte ouverte aux hoplites athéniens qui arrivaient.

LXVIII. À mesure que ceux-ci entraient, ils s’avançaient aux murailles. Les soldats de la garnison péloponnésienne résistèrent d’abord en petit nombre. Il y en eut plusieurs de tués ; mais la plupart prirent la fuite, effrayés, au milieu des ténèbres, de l’attaque subite des ennemis, à qui se joignaient les citoyens perfides. Ils se croyaient trahis par tout le peuple de Mégare, d’autant plus qu’un héraut athénien, de son propre mouvement, s’avisa de proclamer que tous les Mégariens qui voulaient embrasser le parti d’Athènes eussent à prendre les armes. À cette proclamation, ils ne tinrent plus, et dans l’idée qu’ils avaient tout le peuple pour ennemi, ils se réfugièrent à Nisée.

Au lever de l’aurore, les murailles étaient déjà emportées, et les Mégariens de la ville dans la plus grande agitation. Le parti qui agissait pour les Athéniens, et la foule des gens du peuple qui avait connaissance du complot, disaient qu’il fallait ouvrir les portes et marcher au combat. Ils étaient convenus avec les Athéniens qu’aussitôt que les portes seraient ouvertes, ceux-ci se jetteraient dans la ville, et qu’eux-mêmes, pour être épargnés et se faire reconnaître, auraient le visage frotté d’huile. Ils pouvaient ouvrir les portes en toute sûreté ; car on avait promis que quatre mille hoplites d’Athènes et six cents chevaux viendraient d’Éleusis pendant la nuit, et ils étaient arrivés. Déjà les conjurés s’étaient frottés d’huile et se tenaient aux portes, quand un homme instruit du complot en fit part à quelques citoyens. Ceux-ci se réunissent et arrivent en foule, disant qu’il ne faut pas sortir, que c’est exposer la ville à un danger manifeste, et que même, dans un temps où l’on avait plus de force, jamais on n’avait osé prendre une résolution si téméraire. Ils ajoutèrent qu’ils étaient prêts à combattre le premier qui ne les croirait pas. D’ailleurs ils ne laissaient pas voir qu’ils eussent aucune connaissance de ce qui se passait ; mais ils soutenaient leur opinion comme des gens qui pensaient mieux que les autres, et ils s’obstinèrent à rester constamment à la garde des portes : ainsi les conjurés ne purent rien fairë de ce qu’ils avaient projeté.

LXIX. Les généraux athéniens, instruits de ce contre-temps, ët ne se voyant pas en état de forcer la ville, se mirent aussitôt à investir Nisée d’un mur de circonvallation, dans la pensée que s’ils enlevaient cette place avant qu’on y portât du secours, la reddition de Mégare traînerait moins en longueur. Ils ne tardèrent pas à recevoir d’Athènes du fer, des tailleurs de pierre, et tout

  1. Les coureurs. c’était le premier degré de la milice, depuis dix huit ans jusqu’à vingt. On ne prêtait le serment qu’après l’avoir franchi. Le service de ces jeunes gens était de rouler de garnison en garnison.