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étaient devenus trop lourds pour se défendre. Puissamment encouragées par eette découverte et par celle de la supériorité que leur donnait le nombre ; accoutumées à ne les plus croire aussi terribles qu’auparavant, parce qu’ils ne leur avaient pas fait d’abord le mal qu’elles en attendaient, lorsqu’elles commencèrent à s’avancer contre eux, et que leur courage était subjugué par la seule pensée d’avoir à combattre des Lacédémoniens, elles commencèrent à les mépriser, poussèrent de grands cris et se précipitèrent sur eux en foule. Elles les accablaient de pierres, de traits, de javelots, de tout ce qui leur tombait sous la main. Les cris qu’elles jetaient, et la rapidité de leur course frappaient d’épouvante des hommes qui n’étaient pas faits à cette manière de combattre ; les cendres de la forêt nouvellement consumée s’élevaient dans l’air, et cette cendre, les traits, les pierres lancées par une multitude innombrable ne laissaient rien voir devant soi. Alors l’action devint terrible pour les Lacédémoniens. Leurs cuirasses de feutre ne les garantissaient pas des traits, et au moment où ils lançaient des javelots, ils étaient brisés par les pierres. Ils ne savaient comment tirer parti d’eux-mêmes, privés de la vue, et ne pouvant apercevoir d’avance ce qui les menaçait ; étourdis par les cris des ennemis, qui ne leur permettaient pas d’entendre les ordres de leurs chefs ; de toutes parts entourés de dangers, et n’ayant pas même l’espérance de se défendre et de sauver leurs jours.

XXXV. Enfin, couverts presque tous de blessures, parce qu’ils n’avaient toujours fait que se retourner à la même place, ils se formèrent en peloton, et se retirèrent vers le fort, qui était à peu de distance, à l’extrémité de l’île, et où se trouvaient leurs dernières gardes. Dès qu’ils commencèrent à céder, les troupes légères, encore bien plus animées, les suivirent à grands cris, donnant la mort à tous ceux qu’elles atteignaient. Le plus grand nombre cependant gagna la forteresse. Ils se rangèrent avec la garnison, de manière à défendre tous les endroits par où elle pouvait être attaquée. Les Athéniens les suivirent ; mais ils ne purent entourer et investir la place, la force du lieu s’y opposait : ils l’attaquèrent de face, s’efforçant de les chasser. Long-temps, et pendant la journée presque entière, les deux partis tourmentés par la fatigue du combat, la soif et l’ardeur du soleil, soutinrent leurs efforts mutuels, l’un tâchant de déloger l’ennemi du lieu supérieur qu’il occupait, et l’autre de ne pas céder. Les Lacédémoniens se défendaient avec moins de peine qu’auparavant, parce qu’ils ne pouvaient plus être investis par les côtés.

XXXVI. Comme rien ne se décidait, le général des Messéniens vint trouver Cléon et Démosthène, et leur représenta qu’ils se fatiguaient inutilement ; mais que s’ils lui donnaient une partie des archers et des troupes légères, il tournerait les ennemis, qu’il les prendrait en queue par quelque sentier qu’il saurait bien trouver, et qu’il espérait forcer l’entrée du fort. Il reçut ce qu’il demandait, et partit sans être aperçu des ennemis. Il franchit les endroits praticables des précipices dont l’île est hérissée, et que les Lacédémoniens, trop pleins de confiance dans la force du lieu, avaient négligé de garder ; et faisant avec peine de longs détours, il parvint à leur cacher sa marche. Tout à coup il parut derrière eux sur des rochers qui les dominaient, d’autant plus terrible à leurs yeux qu’ils étaient loin de s’attendre à ce spectacle, et remplissant de courage les Athéniens qui voyaient ce qu’ils avaient attendu. Les Lacédémoniens, des deux côtés accablés de traits, et réduits, pour comparer de petites choses aux grandes, à la même extrémité qu’aux Therniopyles, quand, les tournant par un sentier étroit, les Perses vinrent leur donner la mort ; frappés de toutes parts, faibles en nombre contre de nombreux ennemis, et exténués par la faim, ne tinrent plus, et commencèrent à reculer ; mais les Athéniens étaient maîtres des passages.

XXXVII. Cependant Cléon et Démosthène voyant que les Lacédémoniens, pour peu qu’ils fléchissent, allaient être entièrement détruits, firent cesser le combat, et retinrent leurs troupes. Ils désiraient les mener vifs à Athènes, et voulurent essayer si leur orgueil, enfin brisé par l’horreur de leur situation, ne consentirait pas à rendre les armes. Ils leur firent donc porter par un héraut la proposition de se remettre eux et leurs armes entre les mains des Athéniens qui prononceraient sur leur sort.

XXXVIII. La plupart, à cette proclamation, jetant leurs boucliers et agitant les mains, firent connaître qu’ils l’acceptaient. Il se fit une