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ce qu’il avait été dit que s’il se faisait au traité quelque infraction que ce fût, il serait nul. Les Lacédémoniens réclamèrent ; ils se récriaient sur l’injustice de retenir leurs vaisseaux ; enfin ils se retirèrent et recommencèrent les hostilités ; elles furent poussées avec vigueur de part et d’autre. Les Athéniens faisaient régulièrement, pendant le jour, le tour de l’île avec deux vaisseaux qui se croisaient, et la nuit toute la flotte était en station, excepté du côté de la haute mer, quand le vent la rendait impraticable. Ils reçurent encore d’Athènes vingt vaisseaux pour renforcer cette garde. Les Péloponnésiens, campés sur le continent, donnaient des assauts à la place, et guettaient les occasions qui pourraient survenir de sauver leurs guerriers.

XXIV. Cependant en Sicile[1], les Syracusains et leurs alliés, indépendamment des vaisseaux qui faisaient la garde à Messine, y amenèrent une autre flotte qu’ils venaient d’équiper, et ce fut de là qu’ils mirent en mer. C’était surtout les Locriens qui les animaient en haine des habitans de Rhégium. Ils avaient fait eux-mêmes, avec toutes leurs forces, une incursion sur les terres de leurs ennemis, et ils voulaient tenter un combat naval. C’est qu’ils savaient que les Athéniens n’avaient que peu de vaisseaux sur ces mers, et que la plus grande partie de leur flotte, même les bâtimens qui devaient aborder en Sicile, étaient occupés à investir Sphactérie. En gagnant une victoire navale, ils espéraient emporter aisément Rhégium, qu’ils attaqueraient par terre et par mer, et ils se trouveraient alors dans un état respectable. En effet, le promontoire de Rhégium, en Italie, et celui de Messine, en Sicile, étaient fort voisins l’un de l’autre, les Athéniens ne pourraient plus en approcher, ni se trouver maîtres du détroit. Ce détroit est entre Rhégium et Messine, à l’endroit où la Sicile se rapproche le plus du continent : c’est ce qu’on appelle Charybde, où l’on dit qu’Ulysse a traversé. Il est fort resserré : deux grandes mers s’y rencontrent, celle de Tyrsénie[2] et celle de Sicile ; leurs eaux se tourmentent en s’y précipitant, et ce n’est pas sans raison qu’il a passé pour dangereux.

XXV. Ce fut dans cet espace étroit que les Syracusains et leurs alliés, forts d’un peu plus de trente vaisseaux, rencontrèrent, sur la fin de la soirée, seize vaisseaux athéniens et huit de Rhégium, et furent obligés d’accepter le combat autour d’un bâtiment de charge qui tenait cette route ; ils furent vaincus, perdirent un vaisseau, et chacun regagna comme il put son camp, à Messine ou à Rhégium. Ce fut la nuit qui mit fin au combat.

Les Locriens quittèrent ensuite le pays de Rhégium. La flotte des Syracusains et des alliés se réunit devant Péloride, qui fait partie de la campagne de Messine, et où se trouvait l’armée de terre ; elle y jeta l’ancre. Les Athéniens et ceux de Rhégium arrivèrent, aperçurent les vaisseaux vides et voulurent s’en emparer ; mais eux mêmes en perdirent un des leurs, brisé par une main de fer qu’y jetèrent les ennemis ; les hommes se sauvèrent à la nage. Les Syracusains montèrent sur leurs vaisseaux ; ils se faisaient remorquer pour gagner Messine : les Athéniens les attaquèrent une seconde rois ; mais ce furent les ennemis qui prirent eux-mêmes le large et les chargèrent. La flotte d’Athènes perdit encore un vaisseau, et les Syracusains, sans avoir éprouvé de désavantage dans ce combat, entrèrent dans le port de Messine. Les Athéniens se portèrent à Camarina, sur l’avis qu’Archias et sa faction voulaient livrer cette place aux Syracusains.

En même temps, les Messiniens, avec toutes leurs forces, allèrent par terre et par mer attaquer Naxos, colonie des Chalcidiens, qui leur est limitrophe. Le premier jour, ils forcèrent les habitans à se tenir renfermés dans la place et ravagèrent le pays ; le lendemain ils suivirent, sur leurs vaisseaux, le cours du fleuve Acésine, et désolèrent la campagne, pendant que leurs troupes de terre attaquaient la place. Mais les Sicules, qui logent sur les hauteurs, descendirent en grand nombre pour porter contre eux du secours. En les voyant s’avancer, les Naxiens reprirent courage et s’animèrent les uns les autres, dans l’idée que c’était les Léontins et les autres Grecs alliés qui venaient les soutenir : ils firent une sortie précipitée, se jetèrent sur les Messiniens, en tuèrent plus de mille. Le reste eut

  1. Septième année de la guerre du Péloponnèse, troisième année de la quatre-vingt-huitième olympiade, quatre cent vingt-six ans avant l’ère vulgaire. Avant le 20 juin.
  2. Mer de Tyrsènie ou de Tyrrhénie, Tyrrhenum, ou Tuscum mare, mer de Toscane.