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que dicte la supériorité, que lorsque, avec le pouvoir de faire la loi, il se montre son vainqueur par sa générosité inattendue, et lui donne la paix a des conditions justes et modérées. Alors celui qui fut votre ennemi, obligé de ne plus penser à la vengeance, comme s’il avait été soumis par la force, vous doit un retour de reconnaissance ; et quand ce ne serait que par pudeur, il s’en tient aux conditions qu’il a reçues. Il est plus ordinaire de montrer cette générosité à ses plus grands ennemis qu’à ceux dont on n’était divisé que par des différends de peu d’importance ; on est porté naturellement à se relâcher avec plaisir de son pouvoir envers des ennemis qui cèdent eux-mêmes avec condescendance ; mais on se hasarde au delà même de ce qu’on avait projeté, contre ceux dont l’orgueil nous irrite.

XX. « Nous n’aurons jamais une plus belle occasion de nous réconcilier, avant qu’il ne survienne quelque événement sans remède, qui nous force à changer nos dissensions publiques en une haine personnelle et irréconciliable, et nous prive des avantages que nous vous engageons à saisir. Réconcilions-nous pendant que le succès de la guerre est encore indécis, vous, avec la gloire que vous venez d’acquérir, à laquelle va se joindre notre amitié ; nous, avec une disgrâce modérée, avant de souffrir quelque défaite honteuse. Préférons la paix à la guerre, donnons le repos au reste de la Grèce, et c’est à vous que les Grecs croiront surtout le devoir. Ils combattent sans trop savoir qui a commencé la guerre ; mais s’ils obtiennent la paix, comme c’est vous qui êtes à présent les maîtres de la donner, c’est à vous qu’ils en auront la reconnaissance. Voyez qu’il est en votre pouvoir de vous assurer l’amitié de Lacédémone ; qu’elle-même vous y invite, qu’elle vous l’offre moins par force que par bienveillance, et considérez tous les biens qui doivent résulter de notre union. Lorsqu’une fois nos deux nations n’auront plus qu’une volonté, sachez que tout le reste de la Grèce, bien plus faible que nous, nous rendra les plus grands honneurs. »

XXI. Ainsi parlèrent les Lacédémoniens, dans l’idée que leurs rivaux avaient eux-mémes désiré la paix, que Lacédémone y avait seule mis obstacle, qu’ils l’accepteraient avec joie dès qu’elle leur serait offerte, et ne demanderaient pas mieux que de rendre les hommes qu’ils tenaient investis. Mais les Athéniens, de leur côté, pensaient qu’assurés des guerriers renfermés à Sphactérie, ils seraient maîtres de traiter quand il leur plairait, et ils portaient plus haut leur ambition. Un homme surtout les animait : c’était Cléon, fils de Cléænète, qui alors menait le peuple, et qui, plus que personne, avait la confiance de la multitude. Il sut l’engager à répondre qu’il fallait que les guerriers de l’île livrassent leurs armes et leurs personnes, et fussent conduits à Athènes. Ce n’était pas assez : on voulait aussi que les Lacédémoniens rendissent Nisée, Pagues, Trézéne, l’Achaïe, qui se trouvaient dans leurs mains, non par droit de conquête, mais par le dernier traité, que des malheurs et le besoin de la paix avaient forcé les Athéniens d’accepter. À ces conditions, les Lacédémoniens auraient les hommes qu’ils réclamaient, et il se ferait une trêve dont les deux nations fixeraient la durée.

XXII. Ceux-ci ne firent aucune objection à cette réponse, mais ils demandèrent qu’il fût élu des commissaires chargés de discuter à tête reposée chaque article avec les députés, et d’accorder les points sur lesquels on tomberait mutuellement d’accord. À cette proposition, Cléon s’emporta, disant qu’il savait bien d’avance que les Lacédémoniens n’avaient que de mauvaises intentions, et que cela devenait clair, puisqu’ils refusaient de s’ouvrir devant le peuple, et ne voulaient traiter que dans la compagnie d’un petit nombre de personnes. Il leur ordonna, s’ils avaient de saines intentions, de les déclarer en présence de tous les citoyens. Mais les Lacédémoniens sentaient qu’il leur était impossible de s’ouvrir devant la multitude ; que si le malheur les obligeait à céder quelque chose, et que leurs offres fussent rejetées, il seraient exposés aux calomnies des alliés, et que d’ailleurs les Athéniens n’accepteraient pas les conditions modérées qu’ils pouvaient offrir. Ils quittèrent donc Athènes sans avoir rien fait.

XXIII. A leur arrivée cessa l’armistice de Pylos. Ils redemandaient leurs vaisseaux, suivant la convention, et les Athéniens ne les leur rendirent pas. Ils leur reprocbaient d’avoir, en dépit du traité, fait une tentative contre la place, et se plaignirent de quelques autres griefs de peu d’importance. Ils s’appuyaient sur