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péril avec moi, qu’aucun de vous, dans la nécessité où nous sommes réduits, ne se pique de montrer de l’esprit, en calculant tout ce qui nous environne de terrible : mais courez sans réflexion et d’un commun accord à l’ennemi, avec une confiance qui vous rendra vainqueurs. Quand on en est venu, comme nous, à une dangereuse extrémité, il ne s’agit plus de raisonner, mais de se jeter au milieu des hasards. Je vois que les plus justes espérances sont de notre côté, si nous voulons tenir ferme, et, sans nous effrayer du nombre de nos ennemis, ne point trahir nos avantages. Nous avons en notre faveur l’accès difficile de cette côte ; c’est un allié qui combattra pour nous, si nous restons inébranlables ; mais tout difficile qu’il est, il s’aplanira quand il ne restera personne pour le défendre. Alors l’ennemi deviendra plus terrible, parce qu’une fois repoussé, il n’aurait pas aisément de retraite. C’est pendant qu’il est sur ses vaisseaux qu’on peut sans peine lui résister ; s’il descend, la partie devient égale. Leur nombre ne doit pas trop nous épouvanter ; tout nombreux qu’ils peuvent être, il n’y en aura que peu qui combattront, par la difficulté de prendre terre. Ce n’est pas une armée rangée en plaine, où, le reste étant égal, celle qui est la plus forte a des avantages pour elle. Ils combattront de dessus leur flotte, et il doit survenir en mer bien des accidens imprévus. Les difficultés qu’ils ne manqueront pas d’éprouver seront une compensation de notre faiblesse. Vous savez par expérience ce que c’est que de faire une descente en face d’un ennemi. Qu’on ose résister, qu’on ne recule pas, effrayé du bruit des vagues et de l’approche impétueuse des vaisseaux ; on ne peut être forcé. Enfin vous êtes Athéniéns : je vous conjure donc d’attendre et de combattre l’ennemi sur cette plage rocailleuse, et de conserver en même temps et vous-mêmes et la place qui vous est confiée. »

XI. À ce discours, les troupes prirent un nouveau courage et descendirent se ranger en bataille sur le rivage : Les Lacédémoniens s’avançant attaquèrent en même temps les ouvrages par terre et par mer ; ils avaient quarante-trois vaisseaux commandés par Thrasymélidas, fils de Cratésicléas de Sparte. Il donna du côté que l’avait prévu Démosthène. Les Athéniens se défendirent sur l’un et l’autre élément. Les ennemis, dans l’impuissance d’aborder en grand nombre, partagèrent leur flotte en petites divisions ; ils faisaient venir tour à tour leurs vaisseaux à la charge, et, montrant le plus ardent courage, ils s’excitaient les uns les autres, et s’efforçaient de repousser les Athéniens et d’enlever les retranchemens. Personne ne se distingua d’une manière plus brillante que Brasidas. Il commandait une trirème, et voyant que la côte était difficile, et que, même aux endroits où il semblait possible d’aborder, ses collègues et les pilotes, dans la crainte de briser leurs navires, ne faisaient point assez d’efforts, il leur cria que, pour épargner des pièces de charpente, il ne fallait pas laisser l’ennemi se fortifier dans un pays qui était à eux ; il pressait les alliés de faire aux Lacédémoniens le sacrifice de leurs bàtimens, en reconnaissance de tous les bienfaits qu’ils en avaient reçus ; de les pousser au rivage, d’y descendre à tout prix, et de se rendre maîtres des hommes et de la place.

XII. C’était ainsi qu’il animait les autres ; lui-même obligeant son pilote à s’échouer, courut à l’échelle, essaya de descendre et fut frappé par les Athéniens. Couvert de blessures, il perdit connaissance et tomba à l’avant du vaisseau ; son bouclier coula dans la mer et fut porté à terre où les Athéniens le prirent ; ils en décorèrent dans la suite le trophée qu’ils élevèrent en l’honneur de cette journée. Tous faisaient pour descendre les mêmes efforts avec aussi peu de succès, arrêtés par l’escarpement de la côte et par la valeur des Athéniens, qui tenaient ferme et ne cédaient pas. Par un changement de fortune, les Athéniens sur terre, et même sur une terre qui appartenait à Lacédémone, se défendaient contre les Lacédémoniens qui venaient les attaquer par mer, et les Lacédémoniens, abordant par mer sur une terre de leur domination et désormais ennemie, essayaient de faire une descente contre les Athéniens. Les deux peuples acquirent en cette occasion une grande gloire : l’un, celle de déployer les qualités qui conviennent aux habitans du continent et d’exceller dans les combats de terre ; l’autre, celle de se montrer marin et de l’emporter par la supériorité de sa flotte.

XIII. Après avoir fait dans cette journée et le lendemain différentes attaques, les Lacédémo-