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de l’Acarnanie, lui permirent, s’il le jugeait à propos, de faire usage de leur flotte pour quelque expédition à l’entour du Péloponnèse.

III. On était en mer devant les côtes de la Laconie, quand on apprit que déjà les vaisseaux du Péloponnèse étaient en Corcyre. Eurimédon et Sophocle voulaient s’y rendre sans délai ; mais Démosthène était d’avis de prendre d’abord terre à Pylos, et d’y faire, avant de continuer la route, les travaux nécessaires. On ne goûtait pas ce conseil ; mais il survint une tempête, et elle porta la flotte droit à Pylos. Aussitôt Démosthène demanda qu’on entourât la place de murailles, et déclara que c’était à ce dessein qu’il s’était mis de l’expédition. Il montra qu’on trouvait sur le lieu du bois et des pierres en abondance ; que l’endroit était fort de sa nature, et qu’il était abandonné, ainsi que la plupart des campagnes voisines. Pylos, tout au plus éloigné de quatre cents stades de Sparte[1], est situé dans la contrée qui fut autrefois la Messénie. Les Lacédémoniens donnent à cette contrée le nom de Coryphasium. On répondit à Démosthène que, dans le Péloponnèse, il se trouvait assez de promontoires déserts, et qu’il était maître de s’en emparer, s’il voulait jeter la république en dépenses ; mais cet endroit semblait avoir, sur tous les autres, des avantages particuliers. Il offrait la commodité d’un port, il avait anciennement appartenu aux Messéniens, et leur langue est la même que celle des Lacédémoniens ; ils s’élanceraient de ce lieu, leur feraient beaucoup de mal et seraient de fidèles défenseurs de la place.

IV. Il ne persuada ni généraux ni soldats, quoiqu’il eût fini par s’ouvrir de son dessein aux taxiarques[2]. Comme la mer ne permettait pas de se rembarquer, il resta tranquille. Mais les soldats se trouvaient dans l’inaction, et il leur prit envie d’eux-mêmes, et sans ordre de leurs chefs, de fortifier la place. Ils se mirent à l’ouvrage ; et, faute d’outils pour tailler les pierres, ils les choisissaient de la forme la plus commode, et les posaient aux endroits où elles pouvaient convenir. Ils n’avaient pas d’auges ; mais quand il fallait du mortier, ils le prenaient sur leur dos, se courbant pour qu’il ne coulât pas, et croisant leurs mains par derrière pour l’empécher de tomber. Ils faisaient la plus grande diligence pour prévenir les Lacédémoniens, et pour mettre la place en bon état de défense, avant qu’ils vinssent l’attaquer. Dans le plus grand nombre d’endroits elle était d’elle-même assez forte, et l’on n’eut pas besoin d’y élever de murailles.

V. Cependant les Lacédémoniens se trouvaient alors célébrer je ne sais quelle fête ; et quand ils apprirent à quoi s’occupaient les Athéniens, ils ne firent aucun cas de cette nouvelle ; ils croyaient n’avoir qu’à s’approcher pour n’être pas attendus ; ou du moins, ils comptaient emporter aisément la place. Ce qui contribuait d’ailleurs à les arrêter, c’est que leurs troupes étaient encore dans l’Attique.

Le côté du continent et les autres endroits qui avaient le plus de besoin de l’être, furent fortifiés en six jours par les Athéniens. Ils laissèrent à Démosthène cinq vaisseaux pour garder la place, et pressèrent, avec le reste de la flotte, leur départ pour Corcyre et pour la Sicile.

VI. Dès que les Péloponnésiens, qui étaient dans l’Attique, apprirent que Pylos était occupé, ils se hâtèrent de retourner dans leur pays : les Lacédémoniens, et Agis leur roi, pensaient que cette affaire les intéressait particulièrement. D’ailleurs, comme ils avaient commencé leur invasion de bonne heure, et pendant que le blé était encore vert, la plupart manquaient de vivres, et il survint un froid peu ordinaire dans cette saison, dont l’armée fut très incommodée[3]. Ainsi bien des raisons les obligèrent d’accélérer leur retour, et de donner fort peu de temps à cette incursion ; ils ne restèrent que quinze jours dans l’Attique.

VII. Vers le même temps, Simonide, général athénien, prit Éion, dans la Thrace : elle lui fut livrée par trahison. C’est une colonie de Mendé, et elle était ennemie d’Athènes. Il rassembla, pour ce coup de main, quelques Athéniens des garnisons, et un amas d’alliés du pays. Mais les Chalcidiens et les Bottiéens vinrent promptement au secours ; il fut chassé et perdit une partie de son monde.

VIII. Les Péloponnésiens ne furent pas plus tôt

  1. Environ quinze lieues.
  2. Les Athéniens élisaient dix taxiarques de chaque tribu. La fonction de ces officiers était de ranger les soldats. Hudson
  3. On pouvait être au mois de mai.