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donc porter des paroles d’accommodement à Démosthène et aux généraux des Acarnanes, pour obtenir la permission de se retirer et celle d’enlever les morts. Ils lui accordèrent cette dernière demande, dressèrent eux-mêmes un trophée et recueillirent les corps des hommes qu’ils avaient perdus et qui montaient aux environs de trois cents ; mais ils refusèrent d’accorder ouvertement à tous les ennemis la liberté de faire une retraite : seulement, Démosthène et les généraux des Acarnanes donnèrent à Ménédée, aux autres chefs des Péloponnésiens et à tous les hommes les plus remarquables de cette nation, une permission secrète de se retirer promptement. Ils avaient en vue d’affaiblir les Ambraciotes et la foule des mercenaires étrangers ; mais surtout de rendre suspects aux Grecs de cette contrée les Lacédémoniens et les Péloponnésiens, comme des gens qui les trahissaient, en mettant leur propre intérêt au-dessus de toute autre considération. Ceux-ci enlevèrent leurs morts, les ensevelirent comme ils purent avec précipitation, et ceux qui avaient obtenu la permission de faire secrètement leur retraite, se disposèrent à en profiter.

CX. On vint annoncer à Démosthène et aux Acarnanes que les Ambraciotes de la ville, sur le premier message par lequel on leur avait demandé du secours, étaient partis en masse et venaient par le pays des Amphiloques, se joindre sous Olpès à leurs concitoyens, sans rien savoir de ce qui s’était passé. Il envoya aussitôt une partie de son armée se mettre en embuscade sur leur route et occuper les postes les plus forts ; lui-même se tint prêt à marcher contre eux avec le reste.

CXI. Cependant les Mantinéens et tous ceux avec qui l’on avait traité sortirent du camp par petites troupes, comme pour aller ramasser des herbes et des broussailles, et affectant même d’en ramasser en effet ; mais une fois éloignés d’Olpès, ils se retirèrent précipitamment. Les Ambraciotes et tout ce qu’il y avait de troupes rassemblées ne s’aperçurent pas plus tôt de leur départ, qu’ils se mirent eux-mêmes en mouvement et coururent pour les atteindre. D’un autre côté, les Acarnanes crurent d’abord que tous se retiraient sans que personne y fût autorisé par un accord ; ils se mirent à la poursuite des Péloponnésiens, il y en eut même qui se crurent trahis ; ils tirèrent sur quelques-uns de leurs généraux qui voulaient les retenir et leur représentaient que cette retraite était la suite d’un traité. Enfin cependant on laissa passer ceux de Mantinée et les Péloponnésiens, mais on égorgeait les Ambraciotes ; il s’élevait de grandes contestations pour savoir qui était d’Ambracie ou du Péloponnèse. On tua plus de deux cents hommes ; le reste se réfugia dans l’Agraïde, pays limitrophe. Ils furent bien reçus par Salynthius, roi des Agræens, qui était leur ami.

CXII. Les Ambraciotes de la ville arrivèrent aux Idomènes : on appelle ainsi deux tertres assez élevés. Le plus considérable fut occupé par des soldats que Démosthène envoya de nuit et qui s’en emparèrent sans être aperçus. Les Ambraciotes étaient montés les premiers sur l’autre, et ils y passèrent la nuit. Pour Démosthène, il se mit en marche après le repas et à la chute du jour ; lui-même conduisait la moitié de l’armée pour entamer l’action ; l’autre prit sa route par les montagnes d’Amphiloquie. Au point du jour, il tomba sur les Ambraciotes qui étaient encore couchés ; comme ils ne savaient rien de ce qui s’était passé, ils crurent que les troupes qui s’avançaient étaient des leurs. Démosthène avait eu l’adresse de placer aux premiers rangs les Messéniens, et il leur avait ordonné d’adresser la parole aux ennemis, pour faire entendre leur langue, qui est la dorique, et pour inspirer de la confiance aux gardes avancées ; d’ailleurs, il faisait encore nuit et l’on ne pouvait se voir et se reconnaître. Il n’eut donc qu’à tomber sur leur armée pour la mettre en fuite et il en tua une grande partie ; les autres se sauvèrent à travers les montagnes ; mais les chemins étaient interceptés, les Amphiloques connaissaient le pays qui était le leur, et ils avaient affaire à des malheureux qui n’en avaient aucune connaissance ; ils étaient armés à la légère contre des hommes pesamment armés. Les fuyards ne savaient où se tourner : ils tombaient dans les ravins, ils donnaient dans les embuscades qui leur étaient préparées, et ils étaient égorgés. Cherchant tous les moyens de fuir, plusieurs allèrent jusqu’à la mer, qui n’est pas fort éloignée ; ils voient la flotte athénienne qui, par un singulier concours de circonstances, rase en ce moment la côte ; ils la gagnent à la nage, aimant mieux, dans la terreur qu’ils éprouvent, mourir de la