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dans le dessein de se jeter sur l’Attique. Ils étaient commandés par Agis, fils d’Archidamus, roi de Lacédémone. Des tremblemens de terre réitérés étant survenus les firent retourner sur leurs pas, et il n’y eut point d’invasion. Vers cette même époque, Orobe, dans l’île d’Eubée, éprouva des secousses. La mer pénétra par un endroit qui était encore terre : violemment agitées et gonflées par les vagues, les eaux entrèrent dans la ville, submergèrent une partie du terrain et en abandonnèrent une autre ; ce qui fut terre autrefois est mer aujourd’hui. Il ne se sauva que les hommes qui eurent le temps de gagner les hauteurs à la course. Atalante éprouva une semblable alluvion ; cette île appartient aux Locriens d’Oronte : la mer entraîna une partie du fort qu’y avaient les Athéniens ; deux vaisseaux avaient été tirés a sec ; il y en eut un de brisé. Les eaux gagnèrent aussi Péparèthe, mais n’inondèrent pas la ville : seulement le tremblement de terre renversa une partie de la muraille, le Prytanée, et quelques autres édifices en petit nombre. Je crois que ce qui cause ces sortes d’accidens, c’est que, dans les endroits où les secousses sont les plus fortes, elles chassent avec impétuosité les eaux de la mer, les repoussent subitement et donnent plus de violence à l’inondation ; mais je ne pense pas que, sans tremblement de terre, il puisse rien arriver de semblable.

XC. La Sicile fut, dans ce même été[1], un théâtre de guerre. Les Siciliens combattaient les uns contre les autres, et les Athéniens avec ceux de ces peuples dont ils étaient alliés. Je vais rapporter ce que firent de plus important ces alliés secondés par les Athéniens, ou leurs ennemis contre les troupes d’Athènes. Charœade, le général des Athéniens, ayant été tué par les Syracusains dans un combat, Lachès, qui avait le commandement de toute la flotte, se porta avec les alliés conte Mylès, place dépendante de Messine. Deux corps de Messiniens y étaient en garnison ; ils dressèrent une embûche aux troupes qui étaient descendues : mais les Athéniens mirent en fuite les gens de l’embuscade et en tuèrent un grand nombre. Ils attaquèrent les remparts et en obligèrent les défenseurs à rendre par capitulation la citadelle et à se joindre à eux contre Messine. Les Messiniens eux-mêmes, à l’arrivée des Athéniens et des alliés, furent contraints de se rendre. Ils donnèrent des otages et toutes les sûretés qu’on voulut exiger d’eux.

XCI. Le même été, les Athéniens envoyèrent trente vaisseaux autour du Péloponnèse sous le commandement de Démosthène, fils d’Alcisthène, et de Proclès, fils de Théodore. Ils en firent aussi partir soixante pour Mélos avec deux mille hoplites aux ordres de Nicias, fils de Nicératus. Le dessein d’Athènes était de soumettre les Méliens, qui, tout insulaires qu’ils étaient, ne voulaient ni lui obéir ni entrer dans son alliance. Ils supportèrent sans se rendre la dévastation de leur pays, et les Athéniens quittèrent Mélos et allèrent à Orope qui est en face de cette île. Ils y abordèrent de nuit ; les hoplites descendirent et se portèrent de pied à Tanagra en Bœotie. Les Athéniens de la ville, au signal qui leur fut donné, vinrent par terre les y joindre sans distinction de rang ni d’âge. Ils étaient commandés par Hipponicus, fils de Callias, et par Eurymédon, fils de Théoclès. Ils campèrent, firent le dégât pendant le jour autour de Tanagra, et passèrent la nuit dans leur camp. Les Tanagriens furent battus le lendemain dans une sortie qu’ils firent avec quelques Thébains qui étaient venus à leur secours. Les vainqueurs les désarmèrent, dressèrent un trophée et s’en retournèrent les uns à Athènes et les autres sur leurs vaisseaux. Nicias côtoya le rivage avec ses soixante bâtimens, saccagea la partie maritime de la Locride, et rentra dans la ville.

XCII. Vers le même temps, les Lacédémoniens fondèrent la colonie d’Héraclée dans la Trachinie, Voici quel fut le motif de cet établissement : les Maliens sont partagés en Paraliens, Hiériens et Trachiniens. Ces derniers, tourmentés par les peuples de l’Œta auxquels ils confinent, étaient près de se mettre sous la protection des Athéniens ; mais dans la crainte de ne pas trouver en eux de fidélité, ils envoyèrent à Lacédémone, et choisirent pour leur député Tisamène. Les Doriens, de qui les Lacédémoniens tirent leur origine, se joignirent à cette députation pour faire la même demande, car ils étaient également tourmentés par les hostilités des Œtæns. Les Lacédémoniens, sur ce que dirent les dépu-

  1. Sixième année de la guerre du Péloponnèse, troisième année de la quatre-vingt-huitième olympiade, quatre cent vingt-six ans avant l’ère vulgaire. Après le 21 juin.