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leur faction : mais ensuite ils la rasèrent jusque dans ses fondemens, et employèrent les matériaux à construire près du temple de Junon un hospice de deux cents pieds sur toutes ses faces. L’enceinte en était distribuée en appartemens hauts et bas, et l’on fit entrer dans cette construction les toits et les portes des Platéens. Des autres matériaux, on employa le fer et l’airain à des lits qui furent consacrés à Junon, et les pierres servirent à bâtir un temple de cent pieds. Les terres furent affectées au public ; on les afferma pour dix ans, et ce furent des Thébains qui les cultivèrent. Ce qui contribua beaucoup à cette aversion des Lacédémoniens pour ceux de Platée, ou plutôt ce qu’on doit en regarder comme l’unique cause, ce fut leur complaisance pour les Thébains. Ils y furent engagés par l’espérance d’en tirer de grands services pour la guerre où l’on se trouvait engagé. Ainsi périt Platée, quatre-vingt-treize ans après être devenue l’alliée d’Athènes.

LX1X. Cependant les quarante vaisseaux du Péloponnèse qui étaient partis pour secourir Lesbos, mis en fuite et poursuivis par les Athéniens et battus de la tempête à la hauteur de Crète, regagnèrent en désordre les côtes de leur pays. Ils rencontrèrent à Cyllène treize vaisseaux de Leucade et d’Ambracie, et Brasidas, fils de Tellis, arrivé pour aider Alcidas de ses conseils ; car les Lacédémoniens, ayant manqué leur projet de secourir Lesbos, jugèrent à propos d’équiper une flotte plus nombreuse, et pendant que les Athéniens n’avaient que douze vaisseaux à Naupacte, d’aller à Corcyre qui était en proie aux séditions. Ils voulaient les prévenir avant qu’il leur vînt du secours d’Athènes ; Brasidas et Alcidas s’occupaient de cette entreprise.

LXX. Les troubles de Corcyre avaient commencé au retour des citoyens faits prisonniers au combat naval d’Épidamne. Les Corinthiens prétendaient les avoir relâchés sur une caution de huit cents talens[1], que leurs hôtes avaient donnée pour eux : mais la vérité, c’est que ces prisonniers s’étaient laissés engager à leur livrer Corcyre. Ils s’intriguèrent en effet, et insinuèrent aux citoyens de se soulever contre Athènes. Il vint un vaisseau d’Athènes et un de Corinthe qui apportaient des députés. Il se tint des conférences. et les Corcyréens décrétèrent qu’ils persisteraient, suivant le traité, dans l’alliance d’Athènes ; mais qu’ils resteraient amis de Corinthe, comme ils l’étaient avant cette alliance. Il y avait un certain Pithias qui se chargeait volontairement de faire aux Athéniens les honneurs de son pays[2], et qui était à la tête de la faction du peuple. Les gens de la faction contraire le mirent en justice, l’accusant de vouloir asservir son pays aux Athéniens. Il fut absous, et à son tour il fit amener en jugement cinq des plus riches citoyens, les chargeant d’avoir arraché des palissades de l’enceinte consacrée à Jupiter et Alcinoüs. L’amende pour chaque pieu était d’un stater[3]. Ils furent condamnés, et se réfugièrent dans les temples en qualité de suppliant. Comme la somme était forte, ils demandaient, pour être en état de l’acquitter, qu’elle fût partagée en plusieurs paiemens déterminés. Pithias, qui se trouvait être membre du sénat, obtint qu’on agirait contre eux suivant la rigueur de la loi. Ces malheureux, se trouvant sous le joug d’un décret, et apprenant que Pithias voulait profiter du temps où il était encore sénateur, pour engager le peuple dans une alliance offensive et défensive avec Athènes, quittèrent leur asile ; et, s’armant de poignards, ils se jetèrent impétueusement au milieu du sénat et tuèrent Pithias et d’autres sénateurs ou particuliers, jusqu’au nombre de soixante. Quelques gens de la faction de Pithias, mais en petit nombre, se réfugièrent sur la trirème athénienne qui n’était pas encore partie.

LXXI. Après cette exécution, ils convoquèrent les Corcyréens, et se vantèrent d’avoir pris le seul parti qui pût les garantir du joug d’Athènes,

  1. Cette somme est bien forte pour ce temps là. Elle ferait 4, 320, 000 livres de notre monnaie. Valla a traduit octoginta, quatre-vingts, ce qui fait 432, 000 livres. Il est vraisemblable qu’il ne faisait cette correction que par conjecture, car les manuscrits collationnés ne varient pas sur le nombre de huit cents.
  2. On appelait proxènes des citoyens qui étaient chargés par l’état de recevoir les étrangers de certain pays, de les présenter à l’assemblée du peuple, de les conduire au théâtre, etc. Les éthéloproxènes étaient ceux qui, comme le Pithias dont il s’agit ici, se chargeaient volontairement de cet emploi. Les idioproxènes recevaient des étrangers pour leur compte et leur accordaient l’hospitalité.
  3. Le stater était une monnaie d’or du poids de quatre drachmes. Celui de l’Attique n’en pesait que deux. La drachme pesait soixante-dix neuf grains, ce qui fait un gros et sept grains.