Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous entrainaient malgré vous dans quelques entreprises, il ne tenait qu’à vous de réclamer cette alliance que vous aviez contractée avec les Lacédémoniens contre les Mèdes, et que vous affectez si bien de faire valoir. Elle était capable au moins de vous garantir de nos efforts ; et, ce qui est bien important, de vous mettre au dessus de la crainte dans vos délibérations. Mais c’est de votre propre mouvement, et sans y être forcés, que vous avez préféré de vous jeter dans le parti d’Athènes ; et vous dites qu’il était honteux de trahir vos bienfaiteurs. Il était bien plus honteux de trahir tous les Grecs, à qui vous liaient vos sermens, que les seuls Athéniens : ils asserviraient la Grèce ; les autres combattaient pour la rendre libre. La reconnaissance que vous leur témoigniez, accompagnée de honte, était bien différente du bienfait que vous aviez reçu ; car, de votre aveu, vous les aviez appelés, exposés vous-mêmes à l’injustice, et vous deveniez leurs coopérateurs dans les injustices qu’ils faisaient à d’autres. Certes, il est moins honteux de ne pas reconnaître un bienfait, que de marquer à ses bienfaiteurs, par une injustice, la reconnaissance qu’on leur doit justement.

LXIV. « Vous avez bien manifesté que ce n’était pas en faveur des Grecs que, seuls autrefois, vous ne vous étiez pas unis aux Mèdes, mais parce que les Athéniens eux-mêmes ne s’y joignaient pas. Vous avez voulu les imiter et faire le contraire des autres, et vous prétendez aujourd’hui vous prévaloir de ce que, pour complaire à d’autres, vous vous êtes montrés gens de bien : cela n’est pas juste. Vous avez choisi le parti des Athéniens ; défendez-vous par leurs secours, et ne nous alléguez pas les sermens qui vous lièrent jadis avec les Lacédémoniens, comme s’ils devaient aujourd’hui vous sauver. Vous les avez abjurés, et, par une suite de cette infraction, vous avez contribué à l’asservissement des Éginètes et de plusieurs autres alliés, au lieu de les défendre. Et ce n’était pas malgré vous ; c’était en vivant sous les mêmes lois que vous avez encore, et sans que personne vous fît, comme à nous, violence. Encore dans ces derniers temps, avant d’être investis, vous avez rejeté l’invitation qui vous était faite de rester en paix et d’observer la neutralité. Qui donc plus que vous doit être odieux à tous les Grecs, vous qui n’avez fait parade de vertu que pour leur nuire ? Ce qu’alors, comme vous le dites, vous avez fait de bien, vous venez de montrer qu’il ne vous appartenait pas ; mais quant au vrai penchant de votre caractère, on a des preuves qui le font reconnaître ; car vous avez suivi les Athéniens, parce qu’ils prenaient le chemin de l’iniquité. Nous en avons dit assez pour mettre au jour ce qu’était notre faveur involontaire pour les Mèdes et votre penchant volontaire pour les Athéniens.

LXV. « Vous nous reprochez une dernière injustice, de vous avoir attaqués pendant la paix et dans la solennité de l’hiéroménie. Nous ne croyons pas, en cela même, être plus coupables que vous. Si de nous-mêmes nous sommes venus attaquer votre ville et dévaster vos champs comme des ennemis, nous avons eu tort ; mais si ce sont vos concitoyens les plus considérables par la fortune et la naissance, qui, pour vous détacher d’une alliance étrangère, et vous réunir sous les antiques lois communes à tous les Bœotiens, nous ont appelés de leur propre mouvement, quel tort peut-on nous reprocher ? Ceux qui conduisent pèchent plus que ceux qui suivent : mais, à notre avis, il n’y eut de faute ni de leur part ni de la nôtre. Citoyens ainsi que vous, et ayant à perdre davantage, ils nous ont ouvert l’accès de leurs propres murailles ; ils nous ont reçus comme amis dans la ville, et ne nous y ont pas introduits comme des ennemis. Ce qu’ils voulaient, c’était que les plus dangereux d’entre vous ne le devinssent pas encore davantage, et que les meilleurs citoyens obtinssent ce qu’ils avaient droit de prétendre. Ils voulaient rectifier les opinions, et ne point enlever les personnes à la république, mais les ramener à ses liaisons naturelles. Ils ne lui faisaient aucun ennemi, et lui conciliaient l’amitié de tous.

LXVI. « La preuve que nous n’agissions pas en ennemis, c’est que nous n’avons maltraité personne, contens d’inviter à se joindre à nous ceux qui voudraient se gouverner suivant les antiques institutions de toute la Bœotie. Vous êtes passés avec joie de notre côté ; vous êtes entrés en accord avec nous ; vous êtes d’abord restés tranquilles ; mais bientôt, reconnaissant que nous étions en petit nombre, comme si nous avions fait un grand crime d’entrer sans l’aveu de votre populace, vous n’avez pas imité notre