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rions préféré le plus honteux supplice, celui de la faim : mais c’est dans vos bras que nous nous sommes jetés avec confiance, et il est juste, si vous ne vous rendez pas à nos prières, de nous remettre en l’état où nous étions et de nous laisser le choix du danger que nous voulons courir. O Lacédémoniens, nous vous conjurons, nous, ces mêmes Platéens qui ont montré pour les Grecs tant de zèle, de n’être pas livrés de vos propres mains, après avoir reçu votre fui, après être devenus vos supplians, aux Thébains, nos plus mortels ennemis. Devenez nos sauveurs, et ne nous perdez pas, quand vous délivrez le reste de la Grèce. »

LX. Ainsi parlèrent les Platéens. Les Thébains alors s’avancèrent, dans la crainte qu’à ce discours les Lacédémoniens ne se relâchassent de leur rigueur. Ils dirent qu’ils voulaient aussi se faire entendre, puisque, contre leur avis, on avait permis aux Platéens de faire une longue réponse à la question qu’on leur avait adressée. On leur permit de prendre la parole, et voici comment ils s’exprimèrent :

LXI. « Nous n’aurions pas demandé la parole, si les Platéens avaient eux-mêmes répondu brièvement à la question qui leur était faite ; s’ils ne s’étaient pas rendus nos accusateurs ; si, sortant du sujet et s’étendant sur des reproches qu’on ne leur faisait pas, ils n’eussent pas fait d’eux-mêmes une longue apologie, et ne se fussent pas prodigués des éloges sur ce que personne ne songeait à blâmer. Nous sommes obligés maintenant de répondre à leurs accusations et de détruire les louanges qu’ils se donnent, pour leur ôter l’avantage qu’ils veulent tirer de notre crime et de leur gloire, pour que vous ne portiez un jugement qu’après avoir entendu la vérité sur les deux parties.

« Nous allons d’abord remonter à la première origine de nos divisions. Platée, avec quelques autres places dont nous nous étions rendus maîtres, en chassant un mélange d’hommes qui les occupaient, fut la dernière fondation que nous fimes dans la Bœotie ; mais les Platéens ne daignèrent pas, comme il leur avait été d’abord imposé, reconnaître notre domination ; seuls des Bœotiens, ils transgressèrent nos antiques lois, eurent recours aux Athéniens quand nous voulûmes les contraindre à les observer, et conjointement avec ces alliés, ils nous ont fait beaucoup de mal, et en ont éprouvé beaucoup aussi de notre part.

LXII. « Ils prétendent que, lors de l’invasion des Barbares, seuls des Bœotiens ils n’ont pas été favorables aux Mèdes : tel est le sujet de leur orgueil et des traits qu’ils lancent contre nous. Mais nous prétendons, nous, que s’ils n’embrassèrent pas le parti des Mèdes, c’est que les Athéniens ne le suivirent pas ; et que, par la même raison, lorsque, dans la suite, les Athéniens marchèrent contre les Grecs, seuls des Bœotiens ils ont suivi le parti d’Athènes. Mais considérez dans quelles circonstances eux et nous avons tenu cette conduite. Notre ville n’était alors ni soumise à un certain nombre de magistrats, ni régie par la volonté du peuple ; mais, ce qui est le plus contraire à un gouvernement légal et modéré, et ce qui approche le plus de la tyrannie, les affaires étaient dans les mains de quelques ambitieux. Dans l’espérance de conserver plus sûrement leur pouvoir si le Mède avait l’avantage, ils continrent le peuple par la force et donnèrent entrée aux Barbares. La république n’était pas maîtresse d’elle-même, et il est injuste de lui reprocher les fautes qu’elle a commises dans l’absence des lois.

« Mais après la retraite des Mèdes et le rétablissement de notre constitution, quand, dans la suite, les Athéniens marchèrent contre la Grèce dans le dessein de se la soumettre et notre pays avec elle ; quand, à la faveur des divisions, ils en avaient envahi déjà une grande partie ; considérez si, victorieux à Coronée, ce n’est pas nous qui avons délivré la Bœotie, et si nous manquons à présent de zèle pour rendre aux autres la liberté, nous qui fournissons plus de cavalerie et de tout ce qui est nécessaire à cette belle entreprise qu’aucun autre des alliés. Voilà notre réponse au reproche qu’on nous fait d’avoir été les partisans des Mèdes.

LXIII. « Que vous-mêmes, ô Platéens, vous vous soyez rendus coupables des plus graves offenses envers les Grecs, et qu’il ne soit pas de supplice que vous n’ayez mérité, c’est ce que nous allons essayer de prouver. C’est, à vous entendre. pour vous venger de nous que vous êtes entrés dans l’alliance des Athéniens, que vous avez obtenu chez eux le droit de cité. Il fallait donc les susciter contre nous seuls, sans marcher avec eux contre d’autres peuples de la Grèce, et s’ils