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quand nous eûmes besoin de secours, vous nous repoussâtes, et c’est de vous-mêmes que nous reçûmes le conseil de recourir aux Athéniens, parce qu’ils étaient nos voisins et que vous étiez trop éloignés de nous. Cependant, au milieu de la guerre, vous n’avez reçu de notre part aucune insulte, et vous n’en aviez pas à craindre pour l’avenir. Si nous n’avons pas voulu nous détacher, à vos ordres, de l’alliance d’Athènes, notre conduite n’avait rien d’injuste ; car les Athéniens nous avaient secourus contre Thèbes, quand vous étiez lents à nous défendre : et c’eût été une honte de les trahir, après avoir éprouvé leurs bienfaits, imploré leur alliance et reçu chez eux le droit de cité. Marcher avec zèle où ils nous appelaient, tel était notre devoir. Quant aux entreprises auxquelles vous avez, les uns et les autres, conduit vos alliés, s’il en est de répréhensibles, ceux qui vous ont suivis ne sont pas coupables, mais vous-mêmes qui les meniez à d’injustes exploits.

LVI. « Après un grand nombre d’injures que nous avons reçues des Thébains, vous connaissez la dernière, qui est la cause de notre malheur. Quand ils surprirent notre ville, non-seulement en temps de paix, mais pendant l’hiéroménie[1], nous eûmes le droit de nous défendre, suivant la loi reçue chez tous les hommes, qui leur permet de combattre un agresseur ; et ce serait une injustice de nous punir aujourd’hui, en faveur de ceux qui nous ont attaqués. Car si vous prenez, sur votre utilité présente et sur leur haine, la mesure du juste, vous montrerez que vous n’êtes pas des juges intègres du droit, et que vous servez plutôt l’intérêt. Et certes, si les Thébains semblent aujourd’hui vous être utiles, nous le fûmes bien davantage autrefois, et nous et les autres Grecs, quand vous étiez dans un plus grand danger ; car maintenant, terribles aux autres, c’est vous qui les attaquez ; mais alors, quand les Barbares apportaient à tous la servitude, ces gens-ci étaient avec eux. Et il est juste que vous compensiez notre faute actuelle, s’il est vrai que nous en ayons fait une, par le zèle que nous montrâmes alors. Vous trouverez un grand service contre une faute légère, et dans des circonstances où il était rare que des Grecs opposassent quelque vertu à la puissance de Xerxès. Alors furent comblés d’éloges ceux qui ne firent pas consister leurs intérêts à se mettre en sûreté contre l’invasion, et qui osèrent montrer la plus belle audace au milieu des dangers : nous fûmes de ce nombre, et comblés des premiers honneurs, nous craignons qu’ils ne causent aujourd’hui not re perte, pour avoir préféré justement de nous unir aux Athéniens, plutôt, ô Lacédémoniens, que de consulter notre avantage qui nous aurait conseillé de nous joindre à vous. Cependant, ô Lacédémoniens, vous devez toujours porter le même jugement sur les mêmes actions, et croire que vous n’avez pas d’autre intérêt que de conserver toujours une solide reconnaissance des bons offices, quand même votre utilité présente ne s’accorderait pas avec cette conduite.

LVII. « Considérez que vous êtes maintenant regardés comme un modèle de vertu offert au plus grand nombre des Grecs, et que le jugement que vous allez porter dans notre cause ne restera point enseveli dans l’obscurité. Ce seront des hommes célèbres qui prononceront sur des hommes estimables. Si ce jugement n’est pas équitable, on n’apprendra point avec indifférence que vous ayez rien prononcé d’injuste contre des gens de bien, vous qui l’emportez sur eux en vertu, ni que vous ayez consacré nos dépouilles dans les temples, après que nous avons été les bienfaiteurs de la Grèce. On regardera comme une atrocité que les Lacédémoniens aient détruit Platée ; que vos pères, en témoignage de sa valeur, aient inscrit cette ville sur le trépied consacré dans le temple de Delphes, et que vous, pour complaire aux Thébains, vous l’ayez effacée de la Grèce entière. Car c’est à cette extrémité que nous sommes réduits, nous qui étions perdus si les Mèdes eussent remporté la victoire, et qui vous voyons aujourd’hui, vous qui nous fûtes unis par la plus étroite amitié, nous préférer les Thébains. Les deux dangers les plus terribles viennent de se réunir presque

  1. Portus a cru que l’hiéromènie était la nouménie, ou le premier jour du mois. C’est aussi dans cet esprit que Henri Étienne a corrigé la traduction de Valla, in sacris vel feriis prima diei mentis. Peut-être toute nouménie a-t-elle été appelée hiéroménie, mais il n’est pas certain que toute hiéroménie ait été la nouménie. Harpocration, sur Démosthene, contre Timocrate, entend par les hiéroménies les jours de fête ; c’est aussi l’explication que Suidas donne de ce mot. Il ne peut être question ici de la nouménie, puisque Thucydide (liv. ii, S iv, raconte que Platée fut surprise à la fin du mois. (Docker.)