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volonté. Il envoya donc un héraut déclarer aux assiégés que, s’ils remettaient volontairement la place aux Lacédémoniens, et qu’ils voulussent les prendre pour juges, on sévirait contre les coupables ; mais que personne ne serait puni sans jugement : telle fut la proclamation du héraut. Comme ils étaient réduits aux dernières extrémités, ils se rendirent. Les Péloponnésiens leur fournirent des vivres pendant quelques jours, en attendant que les juges, au nombre de cinq, fussent venus de Lacédémone.

Mais à leur arrivée, on n’établit contre les Platéens aucun chef d’accusation ; on se contenta de les faire paraître et de leur demander si, dans la guerre actuelle, ils avaient rendu quelque service aux Lacédémoniens et à leurs alliés. Ces malheureux demandèrent à s’étendre davantage sur leur justification, et ils chargèrent de leur défense deux de leurs concitoyens. Astymaque, fils d’Asopolaüs, et Locon, fils d’Aïmneste, qui avait avec les Lacédémoniens des liaisons d’hospitalité. Ils comparurent, et voici comment ils s’exprimèrent :

LIII. « Quand par confiance en vous, ô Lacédémoniens, nous vous avons rendu notre ville, nous comptions subir un jugement plus légal, et non tel que celui dont nous sommes menacés. Noas n’avons pas accepté d’autres juges que vous ; c’est vous seuls que nous reconnaissons encore, et c’est ainsi que nous nous sommes flattés d’obtenir justice. Nous craignons maintenant d’avoir été déçus dans l’une et l’autre de nos espérances ; car nous avons lieu de soupçonner que c’est contre une peine capitale que nous avons à nous défendre, et que nous ne vous trouverons pas exempts de partialité. C’est ce que nous avons trop de raisons de conjecturer, quand, d’un côté, l’on ne nous intente pas une accusation que nous ayons à combattre, mais que c’est nous qui demandons à parler ; et que, de l’autre, on ne nous fait qu’une courte question, telle que nous parlons contre nous-mêmes, si nous y répondons suivant la vérité, et que, si nous la déguisons, nous sommes convaincus de mensonge. Embarrassés de toutes parts, nous sommes réduits au parti qui semble le plus sûr, celui de hasarder quelques mots en notre faveur. Car, dans la situation où nous sommes, ce que nous n’aurions pas dit, on pourrait croire qu’en at entendre, nous aurions pu nous sauver.

« Cependant il se joint à nos autres malheurs la difficulté de vous persuader. Si nous ne nous connaissions pas les uns et les autres, nous pourrions espérer de servir notre cause en citant en témoignage des faits que vous ignoreriez ; mais nous allons parler devant des juges qui savent tout ce que nous pourrons dire. Ce que nous avons à craindre, ce n’est pas que vous nous fassiez un crime de vous être inférieurs en vertus ; mais que, dans le dessein de complaire à d’autres, vous ne nous fassiez plaider une cause déjà jugée.

LIV. « Nous n’en exposerons pas moins nos droits dans nos différends avec les Thébains ; nous rappellerons les services que nous vous avons rendus à vous-mêmes et au reste de la Grèce, et nous ne négligerons rien pour vous persuader. A la courte question qui nous est faite : si, dans cette guerre, nous avons rendu quelque service aux Lacédémoniens et à leurs alliés, nous répondons que si vous nous interrogez comme ennemis, vous n’avez pas à vous plaindre de ce que nous ne vous avons point obligés ; que si c’est comme amis, vous avez péché vous-mêmes plus que nous, en nous apportant la guerre. Pendant la paix et dans la guerre contre les Mèdes, nous nous sommes montrés dignes de votre estime : pendant la paix, parce que nous n’avons pas été les premiers à l’enfreindre ; dans la guerre contre les Mèdes, parce que seuls des Bœotiens, unis à vous, nous avons défendu la liberté de la Grèce. Habitans que nous étions du continent, nous avons combattu sur mer à Artémisium, et dans la bataille qui s’est livrée sur notre territoire, nous vous avons secondés, vous et Pausanias. Tous les autres dangers qu’à cette époque les Grecs ont eus à courir, nous les avons partagés au-delà de nos forces. Et vous-mêmes en particulier, ô Lacédémoniens, quand Sparte fut enveloppée de la plus grande terreur, quand, après le tremblement de terre, les Ilotes se furent cantonnés dans Itôme, vous vîtes le tiers de nos forces venir à votre secours ; ce sont des services qu’il ne vous convient pas d’oublier.

LV. « Voilà quels nous nous glorifions d’avoir été dans les temps anciens et dans les circonstances les plus importantes. Dans la suite, nous sommes devenus ennemis ; mais la faute en est à vous ; car, opprimés par les Thébains