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nord. C’était celui qui soufflait dans cette nuit : il tombait de la neige qui se fondait, et elle remplit d’eau le fossé ; ils en avaient presque jusqu’au cou ; mais aussi le mauvais temps contribua beaucoup à faciliter leur évasion.

XXIV. A la sortie du fossé, ils prirent, en se tenant serrés, le chemin de Thèbes, ayant à leur droite la chapelle du héros Andocrate ; bien sûrs qu’on ne les soupçonnerait pas d’avoir enfilé une route qui menait aux ennemis. Ils voyaient les Péloponnésiens marcher à leur poursuite, avec des flambeaux, sur celle qui conduit à Athènes par le Cithéron et Dryscéphales. Ils suivirent le chemin de Thèbes pendant six à sept stades[1], et, coupant ensuite de côté, ils entrèrent dans la route qui mène à la montagne, gagnèrent Érythres et Ysies, prirent par les hauteurs, et arrivèrent à Athènes au nombre de deux cent douze. Ils avaient été davantage, mais quelques-uns étaient retournés à la ville avant de franchir la muraille, et un archer avait été pris sur le fossé extérieur.

Les Péloponnésiens cessèrent leur poursuite et demeurèrent à leur poste. Quant aux Platéens qui étaient restés dans la ville, ils ne savaient rien de ce qui s’était passé : mais comme ceux qui étaient revenus sur leurs pas leur avaient dit qu’il ne restait pas un seul homme, ils envoyèrent, dès qu’il fit jour, un héraut demander la permission d’enlever leurs morts. Quand ils eurent appris la vérité, ils restèrent tranquilles. Ce fut ainsi que les hommes de Platée s’ouvrirent un passage et parvinrent à se sauver.

XXV. A la fin du même hiver[2], le Lacédémonien Salæthus fut envoyé à Mitylène sur une trirème. Il gagna Pyrrha, et de là, continuant sa route par terre, il passa un ravin par où l’on pouvait franchir la circonvallation, et se jeta dans la ville sans être aperçu des ennemis. Il annonça aux magistrats qu’on ferait une invasion dans l’Attique, et qu’ils recevraient les quarante vaisseaux qui devaient leur apporter des secours ; qu’il avait été expédié en avant pour leur en donner avis et pour s’occuper des autres dispositions. Les Mityléniens prirent courage et furent moins disposés à traiter avec les Athéniens. Cet hiver finit, et en même temps la quatrième année de la guerre dont Thucydide a écrit l’histoire.

XXVI. Au commencement du printemps suivant[3], les Lacédémoniens envoyèrent à Mitylène les quarante vaisseaux auxquels ils avaient taxé les villes et dont Alcidas avait le commandement. Eux-mêmes, avec leurs alliés, se jetèrent sur l’Attique, afin que les Athéniens, inquiétés de deux côtés à la fois, fussent moins en état de porter du secours contre la flotte qui gagnait Mitylène. Cléomène était à la tête de l’expédition, en qualité d’oncle paternel de Pausanias, fils de Plistoanax, roi de Lacédémone, encore trop jeune pour commander. Ils dévastèrent dans l’Attique ce qui avait été déjà ravagé, et toutes les nouvelles reproductions, et tout ce qu’ils avaient épargné dans leurs premières courses. Cette incursion fut la plus fâcheuse qu’eussent éprouvée les Athéniens depuis la seconde ; car les ennemis attendant toujours des nouvelles de leur flotte de Lesbos, qu’ils croyaient avoir déjà fait sa traversée, parcoururent la plus grande partie du pays en y portant la désolation. Comme enfin rien de ce qu’ils attendaient ne réussit, et qu’ils manquaient de vivres, ils firent leur retraite, se séparèrent, et chacun retourna chez soi.

XXVII. Cependant les Mityléniens ne voyant pas arriver les vaisseaux du Péloponnèse qui se faisaient attendre, et se trouvant dans la disette, furent réduits à traiter avec Athènes. Voici ce qui amena cette révolution. Salæthus, qui lui-même ne comptait plus sur l’arrivée des vaisseaux, arma les gens du peuple pour faire une sortie contre les Athéniens. Auparavant ils étaient désarmés ; mais à peine eurent-ils reçu des armes qu’ils cessèrent d’obéir aux magistrats, firent des rassemblemens, et ordonnèrent aux riches de mettre à découvert le blé qu’ils tenaient caché, et de leur en faire à tous la distribution, s’ils ne voulaient pas les voir s’accorder avec les Athéniens et les rendre maîtres de la ville.

XXVIII. Ceux qui étaient à la tête des affaires ne se voyant pas en état de s’opposer aux desseins du peuple, et ayant beaucoup à craindre s’ils étaient exclus du traité, convinrent en com-

  1. A peu près un quart de lieue.
  2. Après le 23 février.
  3. Cinquième année de la guerre du Péloponnèse, première année de la quatre-vingt-huitième olympiade, quatre cent vingt-huit ans avant l’ère vulgaire. Après le 25 mai.