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on n’a sur sa vie que des données fort imparfaites. On place dans cet intervalle une captivité de quelques années en Béotie à la suite d’une expédition militaire à laquelle il avait pris part, un voyage à la cour de Denys, la composition de son Banquet et de son Hiéron, les leçons que lui donna Isocrate et la publication qu’il fit de l’Histoire de Thucydide.

« Ce fut, dit M. Letronne, après avoir rendu ce service signalé aux lettres qu’il dut partir pour la cour de Cyrus le jeune en 401. Il raconte lui-même (Anabase, III, I.) les motifs qui l’y déterminèrent. Un Béotien, nommé Proxène, autrefois disciple de Gorgias de Léontium, alors attaché à la personne de Cyrus, lui avait écrit pour l’engager à quitter son pays, en lui promettant l’amitié de ce prince. Xénophon consulta Socrate sur ce voyage : celui-ci, craignant que son ami ne se rendit suspect aux Athéniens en se liant avec Cyrus qui avait paru empressé à aider les Lacédémoniens dans leur guerre contre Athènes, lui conseilla d’aller à Delphes consulter Apollon. Xénophon, résolu d’avance, ne demanda pas au dieu s’il devait ou non entreprendre ce voyage, mais à quelle divinité il devait sacrifier pour qu’il fût honorable et avantageux ; et c’est un reproche que lui fit Socrate. Le philosophe finit cependant par lui conseiller de partir, après avoir fait ce que le dieu lui avait prescrit. Xénophon s’embarqua et trouva Proxène à Sardes ; son ami le présenta à Cyrus qui l’accueillit fort bien, l’engagea à rester auprès de lui, lui promettant de le renvoyer quand la guerre qu’il préparait, disait-il, contre les Pisidiens serait terminée.

« Xénophon, croyant que l’expédition n’avait pas d’autre but, consentit à en faire partie, de même que Proxène, qui fut trompé également ; car, de tous les Grecs, Cléarque seul était dans le secret des intentions de Cyrus. La bataille de Cunaxa, la victoire d’Artaxerxe, la mort de Cyrus, le massacre de Cléarque et des vingt-quatre autres chefs de l’armée grecque, dont Tissapherne s’était rendu maître par trahison, ont été décrits en détail par les historiens. Ce ne fut qu’après cette dernière catastrophe, qui compromit si gravement le salut de l’armée, que Xénophon commença à jouer un rôle important dans la retraite des Grecs ; et quoiqu’il se soit nommé trois fois dans les deux premiers livres pour des mots ou des actions de peu d’importance, et toujours comme s’il s’agissait d’une personne différente de celle de l’auteur, ce n’est qu’au commencement du troisième livre qu’il se met en scène, et s’annonce lui-même en ces termes : « Il y avait à l’armée un Athénien nommé Xénophon, qui ne la suivait ni comme général, ni comme lochage, ni comme soldat. L’armée était plongée dans le découragement et le désespoir, lorsque Xénophon, tourmenté de cette situation pénible, alla trouver les lochages (ou chefs de bataillons) du corps de Proxène, auxquels il communiqua ses idées sur le moyen de sauver l’armée. Ensuite il parla avec tant de force et de raison, dans l’assemblée formée par ceux d’entre les chefs qui restaient encore qu’on le choisit, avec quatre autres, pour remplacer les généraux que l’armée avait perdus. Dès ce moment, il devint l’âme de toutes les belles opérations militaires qui, en moins de huit mois, ramenèrent les Grecs, à travers tant de difficultés et d’obstacles, depuis les bords du Tigre jusqu’à ceux du Pont-Euxin. C’est dans cette retraite à jamais mémorable qu’il déploya une fermeté, un sang-froid, un courage toujours réglés par la raison, qui le placent au rang des plus grands capitaines. Arrivé à Chrysopolis, en face de Byzance, il cherchait les moyens de se rendre dans sa patrie, lorsqu’il fut sollicité par Seuthès, roi de Thrace, de lui amener ses troupes pour le rétablir sur le trône. Xénophon, dont l’armée était dénuée de tout, y consentit. Mais après que Seuthès eut obtenu le service qu’il désirait, il ne voulut pas donner la somme dont il était convenu. À force de négociations, pourtant, le général grec en obtint une partie. Ce fut alors que Thymbron, chargé par les Lacédémoniens de faire la guerre aux satrapes Pharnabaze et Tissapherne, envoya solliciter les troupes sous la conduite de Xénophon, de venir le joindre pour l’aider dans cette guerre, moyennant une forte solde. Xénophon se disposait à retourner dans sa patrie ; mais les Grecs le prièrent de ne les point abandonner encore, et de ne les quitter que lorsqu’il aurait remis lui-même l’armée à Thymbron qui était en Ionie : il y consentit. » Depuis cette époque (399 av. J.-C.) jusqu’à 395 ou 394, où il alla se joindre à Agésilas en Asie, il s’écoula quatre ou cinq ans. M. Letronne pense que ce fut pendant cet intervalle de repos qu’il composa ses Mémoires sur son maître Socrate, condamné à mort pendant son absence.

Peu d’années après son retour, Xénophon fut condamné, par ses compatriotes, à un exil qui se prolongea pendant trente ans. Son affection pour les Lacédémoniens en fut, dit-on, la cause. Sa conduite dans l’exil ne démentit pas ce bruit, car il alla rejoindre son ami Agésilas, roi de Sparte, l’accompagna pendant toute son expédition d’Asie, revint avec lui lorsque Lacédémone rappela l’armée d’Agésilas, combattit à ses côtés à la bataille de Coronée où ses concitoyens combattaient