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FRANCOYS. 23


qu’ils ne veulent en façon que ce soit faire paroistre le bien & commoditez qu’ils ont, afin de n’en faire part & communiquer à autruy, on vse de ce prouerbe, lequel est pris de la façon de faire des mulletiers, lesquels par les champs & mesmes en l'estable, pendēt à chacun de leurs mulets vn petit sac plein d’auoine qu’ils mangent à part, sans qu’aucune autre en puisse prendre. De cecy ne semble trop eslongné le Latin, Intris camere, ou Tibi camere, mais il a vn autre origine.

De b carre en b mol.

Par cecy est remarquée l'inconstāce & varieté de ceux lesquels en leurs propos & discours ne tiennēt aucune fermeté, mais vont tousiours sautant de l’vn à l’autre. Cette similitude est prise des Musiciens, qui varient en leurs tons, selon les clefs de leur art nommées b carre & b mol, la muance desquelles est beaucoup plus difficile que de G sol re vt, ou E Fa vt.

De mesme signification est vn autre prouerbe qui dict : sauter de treille en paisseaux, tiré des vignerons, lesquels appellent vne treille, ce qui est planté au cordeau en ligne droite d’vn boùt à l’autre. Et par ce mot de paisseaux sont entenduz les ceps qui sont plantez par cy par là sans aucun ordre, ayans chacun vn paisseau pour les soustenir. Comme donc les vignerons, ou les vendengeurs sont attachez tantost à vnc treille, tantost à vn cep, ainsi font ceux lesquels sans suyure de droict fil leurs propos & discours, disent tantost d’vn, tantost d’autre.

C'est le ventre ma mere.

Quand quelqu’vn se repend d’auoir fait quelque chose, ou estant eschappé de quelque danger, veut protester & affirmer que iamais il ne luy aduiendra de commettre cela, ou de s’exposer derechef à tel danger, il vse volontiers de ces mots : C'est le ventre de ma mere, Ie n'y retourne plus. Tout ainsi que l’enfant estant sorti du ventre de sa mere, iamais plus n’y r’entre.

Iether vne pierre au iardin de quelqu’vn.

Quand on taxe quelqu’vn sans le nommer, en mots couuerts, & neantmoins tels, qu’il est aisé de cognoistre celuy qu’on veut entendre, on dii communement : On void bien au iardin de qui ceste pierre est jettée. La raison de ce prouerbe se rapporte au grand soing que l’on prend de tenir les iardins proprement ; De sorte que si quelque envieux y jettoit vne pierre, elle seroit incontinent apperceuë par le maiftre, qui cognoist par là que l’on ne luy a sçeu pis faire, que de penser sallir son iard&n en y jettant telles pierres.

Que de bond que de volée.

Ce prouerbe est pris des ioüeurs de paulme, lesquels pourveu qu’ils puissent rencontrer l’esteuf ou de volée, ou au bond, pour le renuoyer à la partie aduerse, se maintiennent sans perte. De mesme pourueu que l’on vienne à bout de quelque chose qu’on entreprend, on ne se doit pas beaucoup soucier de la façon. Autres disent en mefme sens: Qu'à hu, qu'à ha.

Reculer pour mieux sauter.

Qund quelqu’vn ayant commēcé quelque entreprise de longue durée, semble par fois relascher vn petit de son trauail & labeur ordinaire, on a coustume de dire : Il recule pour mieux sauter. Ceste similitude est prise de ceux qui s'esbatent à sauter, lesquels ayans defia le pied sur la ligne & marque d’où ils doyuent commencer le saut, ont de coustume de reculer quelques pas en arriere, pour mieux s'esbranler & l’ancer le corps.

Nager en grand’eau.

Par ce properbe on est enseigne que quiconque veut paruenir auec heureux succes à quelque chose que ce soit, il doit cercher & frequenter les lieux esquels en est la pleine abondance. Comme pour exemple, si quelqu’vn desire paruenir à quelque degré de science, il n’est que de se retirer és grandes & fameuses Vniuersitez & Academies, où l’on en faict profession, & non pas croupir és petites escholes vulgaires. Celuy qui par son eloquence veut acquerir du los & du bien, le fera auec plus de facilité és grandes Cours de Parlemens, que non pas au barreau & iustice subalterner de quelque petite ville ou village. De mesme qui veut traffiquer en marchandise, & de là se faire riche, en aura tousiours plus de moyen demeurant és grandes & fameufes Citez, & frequentant les foires des païs estranges, les plus celebres, que s'il demeuroit en quelque bourgade hantant seulement les petits marchez des enuirons. Ainsi est il de toutes autres choses, & ceste similitude est prise des riuieres, lesquelles tant plus elles sont grandes & profondes, plus elles sonr aysées à ceux qui nagent, de s'esgayer & ioüer par dessus ; Et mesmes portent & soustiennent mieux les gros bateaux, & toutes autres choses, que ne font les petis ruisseaux.

Ressembler Thibault Garault, faire son cas à part.

Cecy se dict des personnes solitaires & non sociables, lesquels en toutes leurs affaires n’admettent aucune compagnie ni societé, comme cela est assez frequent aux marchans, lesquels se tiennent tousiours clos & couuerts, resserrez & faisant leurs besongnes à part, sans aucune communication d’autruy. Ce prouerbe a pris son commencement d’vn certain personnage d’Orleans,


qui portoit ce nom, & estoit de l’humeur cy dessus specifiée.

Faire bourre voler.

C'est vne façon de parler enigmatique, qui vaut autant à dire, comme iouër à la paulme : Car par ce mot de bourre est entendu l’esteuf, ou la pelote qui est faite de bourre, laquelle agitée, poulsée, & repoussée par les ioüeurs auec la main, le baton, ou la raquette, semble proprement voler en l’air. Or sous ceste espece de jeu sont entendus tous autres ieux & passetemps qui se font auec despence. Delà par metaphore, quand quelqu’vn s'adonne & employe par trop, soit à tels jeux, soit à toute autre maniere de passetemps qui ameinent coustange, on dict : Il faict bien bourre voler.

Du cuyr d'autruy large courroye.

Ce prouerbe est propre à ceux lesquels en ce qui leur touche, ou appartient, se monstrans chiches & bons mesnagers, quand ils ont en maniement quelque chose de l’autruy, en font liberalité, & le distribuent largement. Pris des artisans qui detranchent le cuyr.

Plus d'vn asne à la foire a nom Martin.

Ce prouerbe nous apprend quand on veut bien cognoistre & affermer de quelque chose, il ne se faut arrester ni à la conformité du nom, ni à quelques autres marques & circonstances, pour asseurer que ce soit cela mesme qu’on pense. Comme si quelqu’vn ayant vn asne tellement accoustumé à ce nom de Martin, que si tost qu’il seroit ainsi appelé monstreroit signe d’entendre, & que de la il voulust inferer que tous les autres asnes qui seroient le semblable seroienr le sien, on luy mettroit ce prouerbe au deuant, asçauoir que plusieurs autres asnes que le sien, qui se trouuent à vne foire, ont aussi ce mesme nom de Martin, & que partant il faut d’autres meilleures enseignes, pour prouuer que l’asne qui s'appelle Martin est le sien.

Ne pouuant plus tenir en sa peau.

Cela se dict de ceux lesquels sont tellement orguilleux & insolents, qu’ils surpassent les bornes & limites de leur condition, comme si sortans de leur peau trop estroicte pour eux, enflez de leur orgueil, il falloit les loger en vne plus grande & spacieuse.

Donner du nez à terre.

C’est à dire, estre du tout vaincu. Pris de ceux qui combattent en vn duel, où celuy qui a reçeu le plus de playes, & ne peut plus demeurer sur pied, est contrainct de tomber le plus souuent sur sa face, donnant du nez contre la terre ; Les Latins ont le leur, Potere terram, est encores, Terram ore momordat : Car les anciens guerriers auoient accoustumé de mordre la terre, en mourant soubs leur ennemy, de craincte que la douleur ne leur fist lascher quelque parole, qui rabaissast la grandeur de leur courage.

Les oysons meinent les oyes paistre.

L’on void par experience cest ordre estre obserué par les poules, les oyes, & autres tels oyseaux domestiques, que leurs petits estans esclos, les meres vont deuant & les conduisent à cercher leur vie. Ce seroit donc contre nature, si au contraire, les petits entreprenoient de presider & conduire leurs meres. De là est venu ce prouerbe, lequel a lieu lors que quelques ieunes gens peu experimentez, se veullent mesler de gouuerner les autres, qui ont plus d’aage, d’experience & de prudence : A quoy se rapporte aucunement le Latin, Sus Minernam, quand les ignorans veulent enseigner les doctes.

Il n'est pas mercier qui ne sçait faire sa loge.

Ce prouerbe est pris de ces petits merciers vagabons, qui n’ont aucune demeure arrestée, mais vont par les foires & marchez portans leur pacquet sur le dos, pour lequel desployer & estaller leurs merceries, eux mesmes bastissent de petites loges & boutiques, n’ayans moyen de faire plus grande despēse. A leur exemple donc nous sommes appris que nul n’est digne d’exercer quelque estat & mestier, s'il ne peut de luy mesme se preparer ce qui est requis à cela.

Aller aux meures sans crochet.

Le meurier est vn arbre qui estend ses rameux loin du tronc, & sont fort aysez à rompre, qui faict que ceux qui en veulent cueillir le fruict, ne s’osans aduancer aux extremitez, se tiennent sur les branches fermes à l'entour du tronc, & delà auec vn crochet tirent à eux les autres petites, pour en auoir le fruict, de sorte que quiconque oublie de porter son crocet, s'en retourne souuent sans beaucoup de fruict. Cela nous enseigne de ne point s'acheminer à aucune entreprise, sans estre pourueu & garni de ce qui la peut faciliter & faire mettre execution.

Battre l’eau.

C’est à dire en vn mot se trauailler en vain, perdre son temps & sa peine. Semblables à ces Latins, Ignem dissecare. Avare littus. Harenæ mandare femina. In aqua sementem facere. In aqua scribere. Æthiopem Lavare. Et plusieurs autres tous de cette mesme signification.

D'vn sac deux mouliniers.

Les musniers ont accoustumé de prendre pour leur droict de