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FRANCOYS. 21


dance, est qu’ils ayent ample & profonde lictiere. Et par ceste similitude il se peut dire de ceux lesquels sont à leur ayse, & ont à leur souhait toutes choses necessaires à vne vie opulente & delicieuse.

Il ne peut sortir du sac que ce qui y est.

Comme d’vn sac plein quand on le vuyde, rien ne sort que la matiere mesme qui estoit dedans ; Ainsi d’vn esprit remply de mauuaises pensées & cogitations, ne peut sortir que mauuaises paroles, asçauoir d’vn cœur, impudicque, vilains, & sales propos, & d’va vilain & rustique, rudes ac discourcoises paroles : Et ainsi de toutes autres afflictions, de sorte qu’on y accorde ce dire commun, De l’abondance du cœur la bouche parle.

Trouuer à tondre sur vn œuf.

Ce mot de tondre presuppose qu’il y ait ou poil, ou laine, ou herbe, ou chose semblable ; Or chacun sçait combien vn œuf est exempt de tout cela : Doncques par ceste façon de parler hyperbolique, sont remarquez certains personages & actifs à leur profit, & ingenieux en toutes sortes d’inuentions, pour pouuoir grappiner, que rien ne leur passe par les mains où ils ne trouuent à prendre, & qu’il ne leur en demeure quelque chose au bout des doigts.

Pescher en eau trouble.

Qund les riuieres par quelques longues pluyes ou autre occasion sont bien troubles, lors les pescheurs ont bon temps, parce que le poisson ne pouuant apperceuoir les filez, entrent plus facilement dedans : Tout de mesmes quand vne Republicque ou autre Estat, tel qu’il soit, est agité de dissentions & discordes ciuiles, & par ce moyen tout ordre & police en confusion, ceux qui manient les affaires publicques ont par là occasion & beau ieu, pour faire leur proffit particulier, & tirer à eux des finances & substances communes, ce que bon leur semble, ce qu’ils ne pourroient sans craincte en vn tempps paisible & cranquille. C’est proprement ce que cc prouerbe veut dire, lequel toutesfois se peut estendre plus loin, asçauoir en toutes negociations particulieres, esquelles les personnes de mauuaise conscience, n'ayans craincte d’estre repris, quand il suruient quelque difficulté qui puisse aucunement esbloüir les yeux, en sçauent bien faire leur proffit, & parmy tel empeschement, se donner par les iouës, comme on dit, de ce qui n’est clair & liquide : Ce qu’ils ne pourroient faire sans les differens suruenuz.

Ce n'est pas tout de courir, il faut partir à temps.

Ce prouerbe nous admoneste, qu'en toutes noz besongnes, non seulement la diligence est necessaire en trauaillant, mais aussi qu’il faut commencer de bonne heure & à propos. Ceste similitude est tirée: de ceux qui courent pour gaigner quelque prix, lesquels doyuent commencer leur course aussi tost que le signal de partir est donné. Autrement ils sont en danger que leur bien courir leur serue de peu, estans deuancez de ceux qui ont deslogé les premiers.

Petite pluye abbat grand vent.

Ce prouerbe a beaucoup de particulieres significations, toutes tirées d’vne mesme cause qui se void ordinairement, asçauoir que lors qu’il s'esleué quelque fort & impetueux vent, suruenant quelque petite pluye, il se voit incontenent appaisé, & l’air rendu tranquille & coy : De mesmes lors qu’vn homme est en furie bruyant & tonnant de cholere & menasses, il aduient souuent que par vn peu de douces & gracieuses paroles qu’on luy donne, il se rend du tout appaisé & pacificque. Ainsi d’aunes choses en general, comme lors que les peuples fremissent, tempestent, & menaçent le plus en quelque sedition, il ne faut quelque fois qu’vn bien peu de bon conseil ou de resistance, en quelque sorte que ce soit, pour leur rompre leurs mauuais desseins & entreprises. Icy y aura matiere de monstrer sa philosophie en discourant des causes naturelles de cest effect de pluye & du vent. Et l’on sçait que par metaphore le vent se prend ordinairement pour la iactance & vanterie.

Il sçait que l'aulne en vaut.

Cecy se dit de ceux lesquels pour estre bien entenduz & experimētez és affaires qu’ils ont à negotier auec autruy, se donnent bien garde par ce moyen d’estre trompez ou circonuenuz. Il se peut aussi applicquer à ceux lesquels ayant desia passé par quelques difficultez ou dangers, se donnent garde apres d’y retomber, ou bien y estans, s'en sçauent mieux desuelopper. Ceste façon de parler est prise des marchans, lesquels en vendant leurs denrées ne surfont pas volontiers aux personnes cognoissans que la chose vaut, desquels ils feroient incontinent seruiz de ce prouerbe : Aux autres, aux autres, ie suis du mestier, ie sçay que l'aulne en vaut. Et le mesme se peut dire à tous ceux lesquels desguisans les matieres, voudroient faire à croire vne chose pour vne autre. Comme aussi cestuy-cy. Allez vendre vos coquilles ailleurs.

Le four appelle le moulin bruslé.

L’vsage de ce prouerbe est, quand aucun entaché de quelque vice & tache, la reproche à vn autre qui en est du tout exempt. Comme si vn four auquel ordinairement le feu est embrasé, &


par consequent est à demy bruslé, faisoit ce reproche au mouilin, lequel estant basty sur l’eau, & d’icelle continuellement arrousé, est bien eslongné de tel inconuenient.

Ceux qui nous doyuent, nous demandent.

C’est contre ceux lesquels ayans reçeu beaucoup de plaisirs & biens-faits, tant s'en faut qu'ils s'efforcent de le recognoistre par aucun deuoir, qu’au contraire au lieu d’en remercier & donner de bonnes paroles, ils se plaignent & parlent bien gros, comme si on leur deuoit beaucoup d’auantage que ce qu’on a desia fait. En general il se peut applicquer à tous ceux qui par ingratitude se portent autrement qu’ils ne deuroient, enuers ceux ausquels ils sont tenuz & obligez.

Au bout, la borne.

Par ces mots nous sommes enseignez de cōtinuer & aduancer en toutes noz entreprises autant qu’il nous sera possible, resoluz si nous n’en pouuons du tout venir à bout, qu’au pis aller nous mettrons la borne d’icelles au lieu où nous serons contraints de cesser. Il semble que ce prouerbe soit pris de ceux qui courent en quelque carriere limitée, lesquels ayans fait leur plain deuoir de la franchir tout du long, font la fin d’icelle, & la borne de leur course, au lieu où les forces leur defaillent.

Vouloir prendre vn homme ras par les cheueux.

C’est à dire, vouloir exiger d’vn hōme ce qui n’est en sa puissance de donner, ne l’ayant pas, & le penser contraindre par des moyens qui ne sont pas en luy. La similitude est aysée à entendre.

Ne croire à Dieu que sur bons gages, ou à bonnes enseignes.

Ce prouerbe pris à la lettre & entendu de Dieu mesme, seroit profane & du tout impie, & ne pense pas qu’il y ait homme si desbordé d’en venir iusques là : Mais par comparaison est propre aux personnes tellemenc deffiantes de leur nature, comme il s'en void assez, que iamais ils ne croyent, iamais ne s'asseurent de chose qui leur soit dite, ou promise, par qui que ce soit, qu’ ils ne la voyent desia comme deuant eux, & à demy effectuée. Tirant cet argument du grand au petit, ainsi, si cet homme ne se fie en Dieu qui est la Verité mesme, & qui ne promet rien qu’il ne vueille & puisse tenir, quel credit fera-il aux hommes, qui pour la pluspart sont menteurs & trompeurs ? Et faut noter qu’en cest endroit ce mot, Croire, ne s'entend pas de la Foy & creance Chrestienne, mais se prend pour se fier & adiouster Foy à ce que quelqu’vn dict ou faict.

On a veu d'außi grand vent venter.

Quand quelqu’vn bruit,tempeste, menace, & fait vn plus grād brouhaha qu’il n’a de puissance de mal faire, on luy mer en barbe ce prouerbe-cy, auec lequel tacitement s'entend ceste seconde clause, Sans abattre les maisons, ou, Sans que les maisons soyent tombées, ou chose semblable ; Comme si on luy disoit : On a bien veu d’aussi grands criars & menasseurs que toy, sans qu’ils ayent fait beaucoup de mal. Il a esté dit cy dessus que ce mot de, Vent, par metaphore se prend pour vne vaine iactance où il n’y a rien que des paroles.

Trouuer chaussure à son pied.

Ce prouerbe est propre à ceux lesquels pensans se rendre redoutables, faisans les mauuais & menaçans autruy, trouuent tout soudain quelqu’vn qui les arreste tout court & fait tenir en bride. L’origine de ce prouerbe peut venir de ceux qui ont le pied si mal faict, qu’il est mal-aisé à chausser, s'ils ne font faire leurs souliers expres, & quand de cas fortuit ils en rencontrent de faits qui leur soyent propres, on peut dire qu’ils ont trouué chausseure à leur pied.

Ne sçauoir trouuer tant de trous, qu'on a de cheuilles.

L’vsage de ce prouerbe est contre ceux lesquels estans repris & tancez de quelque faute, sont si ingenieux & pleins de langage à la defendre, qu’on ne leur sçauroit tant amener de raisons & de tesmoignages pour les penser conuaincre, qu’ils n’ayent aussitost vne response & excuse toute preste. Comme si quelqu’vn vouloit percer à iour quelque lieu pour y voir clair, & qu’vn autre, pour l’empescher, eust autāt de cheuilles toutes prestes, comme il verroit de trous, pour les estouper.

Cuider n'est pas iuste mesure.

Ce langage nous enseigne que la iuste & certaine estimation des choses, ne depend pas de la premiere opinion qu’on en prend par l’exterieur, mais qu’il faut bien venir plus auant pour en pouuoir affirmer ce qui en est. Il semble estre pris de ceux qui vendent au poids, ou à l’aulne, ou au boisseau, lesquels par vn long vsage qu’ils ont de ceste distribution, iettant l’œil sur quelque amas ou reste des choses qui ont accoustumé de se vendre de ceste façon, iugent à peu pres combien il y en peut auoir, mais non pas si exactement, que souuent ils ne s'y trouuent deceux en les examinant au poix ou mesure qu’ils doyuent tenir.

A qui est l'asne, le tienne par la queuë.

Ce prouerbe nous apprēd que nul ne doit estre tant seigneur, ni tant trauailler pour la conseruation d'aucune chose, que celuy à qui elle appartient. Pris des bestes, lesquelles quand leurs mai-