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FRANCOYS. 19

Partir le gasteau ou manger le cochon ensemble.

Ce prouerbe semble pris de quelque coustume ancienne, qui encor se practique aucunement pour le iourd’huy ; L’on sait que les anciens voulans faire quelque coniuration estans assemblez, apres auoir sacrifie à leurs Dieux, beuuoient tous en vne mesme couppe, & d’vn mesme vin. Cela se peut clairement voir en Aristophanes en sa Comedie intitulee Lysistrate, où celle qui estoit auctrice de leur coniuration, disoit aux autres femmes ses compagnes ces mots :

Λάζοι πέσοι τής κύλικος ὧ λαμπιτοί.

C’est a dire, Prenez toutes de ceste couppe ô Lampira, qui est le nom de celle à qui elle addresse son propos.

Semblablement manger le cochon ensemble, ne signifie autre chose, sinon par telle ceremonie consentir ensemble à quelque entreprise ou coniuration : Mais partir le gasteau est autant comme qui diroit, departir à chacun du proffit qui en peut reuenir : Quoy que ce soit, ce prouerbe s’entend de ceux qui monopolent & conspirent en quelque chose, mais plustost pour le mal & dommage d’autruy, que pour aucun bien.

Qui ne retire de sa vache que la queuë, ne perd pas tout.

Par ces mots nous sommes aduertiz qu’en tous cas & accidens de perte & dommage, on ne doit point negliger ce que l’on peut sauuer, d’autant qu’on n’en sçauroit si peu retirer, que ce ne soit plus que rien du tout. Ce prouerbe semble estre pris de l’histoire de quelque pauure homme, auquel sa vache estant violentement rauie, ou par hommes ou par bestes, se seroit tellement esuertué de la retenir par la queuë, qu’à force de tirer, ladite queuë pour toute chose luy seroit demeurée és mains.

Ietter le manche apres la coignée.

Ce prouerbe peut venir de mesme source que le precedant, asçauoir de quelque pauure boscheron, lequel ayant rompu ou autrement perdu le fer de sa coignée, auroit par vn despit ietté le manche apres, ce qu’il ne deuoit faire, veu que ce manche pouuoit seruir â vn aurre fer, & espargner autant de despence. A cet exempte nous est enseigné quand quelque perte nous aduient, de retenir nostre courroux, & ne la vouloir faire plus grande par nostre propre faute, en perdant par despit le reste qui nous peut encore seruir.

Torcher à autruy le cul de sa chemise.

C’est à dire, faire quelque bien & courtoisie à quelqu’vn, mais de son bien mesme & de ce qui luy appartient, sans que celuy qui fait tel plaisir y employe rien du sien comme quand on pratique ce que dit ce prouerbe.

Manger les charretes ferrées, & manger à vn grain de sel.

Ce sont hyperboles propres à ceux qui se font vaillans, comme Arioste descrit Rodomonte, Terence son Thraso, & Plaute son Pyrgopolinices, en sa Comedie du nom de Miles gloriosus. Au reste, manger á vn grain de sel, est pris de ceux lesquels par leur grande auidité ne prenans le loisir de mignarder & assaisonner les viandes, les aualent auec vn peu de sel dessus.

Villonner. Pateliner. Pindariser.

Ces verbes font contrefaits sur les noms propres de certains hommes de nostre siecle, desquels il faudroit icy inserer les choses plus memorables de leur vie & faits, pour auoir intelligence desdits verbes. Ainsi les Grecs ont ceux cy, Κρητίζειν, Συβαρίζειν, Λεσβιάζειν, Λυδίζειν, & autres semblables tirez des noms de telles nations, qu’il faudroit aussi interpreter plus à plain, si cela ne nous escartoit trop de nostre subiect.

Entre l’enclume & le marteau.

Ce prouerbe est tiré du Latin en mesmes mots & signification asçauoir, Inter incudem & malleum, & se dit des personnes qui sont tellement enueloppez de fascherie & anxieté, que de quelque costé qu’ils se tournent, ne reçoyuent que peine & affliction, comme vn fer qu’on bat sur l’enclume, lequel au dessous sent la dureté d’icelle, & par dessus la pesanteur des coups de marteau tombant sur luy.

Il ne craint ni les rez ni les tondus.

Ce prouerbe seroit froid, & auroit bien peu de grace si ce n’est qu’on entende son origine : Car quelle occasion y auroit il de craindre vn homme rasé ou tondu, plus qu’vn autre portant cheueux ? Vous deuez dōc sçauoir que depuis vne centaine d’années plus ons moins, en la ville de Troye, capitale de Champagne, y auoit vne famille, dont le surnom estoit les Rez, laquelle pour sa grande richesse & authorité s’estoit renduë quasi redoutable à tous ses concitoyens, tellement que c’estoit comme vne forme de menace ordinaire, quand on vsoit à quelqu’vn de ces mots ou semblables, Ie le diray ou feray sçauoir au Rez ; Sur quoy vn bon compagnon de ce temps la, fasché peut estre que trop souuent ceste menace luy estoit repetée, prononça en cholere ces mots, Ie n’ay que faire des Rez ni des tondus, ou chose semblable, faisant allusion de ce mot Rez, & y adioustant cest autre tondus. Cela puis apres tourna en prouerbe peculier à ladite Vitte, que lors qu’on vouloit taxer quelqu’vn d’estre temeraire, arrogant & ne portant respect à personne, on disoit : Il ne craint ni les Rez ni les tondus.

Assez escorche qui le pied tient.

C’est à dire, que ceux qui aydent & prestent leur peine à ceux qui cruellement molestent & trauaillent quelqu’vn, ne sont exempts de la coulpe : Tout ainsi que celuy qui tient les pieds de quelque pauure beste qu’on escorche, ne merite moins le nom d’escorcheur, que fait celuy qui manie le cousteau.

Porter la paste au four pour autruy.

La signification de ce prouerbe est assez commune & vulgaire, qui est quand quel qu’vn patit & porte la peine qu’vn autre a meritée. Mais ie confesse librement n’en sçauoir ni l’occasion ni l’origine.

Maille à maille se fait le haubergeon.

Haubergeon estoit vne espece & façon d’armeure ancienne, qui se faisoit de telle estoffe & maniere que ce que nous appellons maintenant, Cotte ou chemise de mailles. Ces mailles sont petits annelets de fer ou d’acier s’embrassans & tenans l’vn l’autre, pour en faire habillement de telle longueur & largeur que l’on veut, chose assez vsitée & commune entre gens faisans profession des armes. Et pource qu’à bastir cest ouurage, composé de tant de petites pieces, il y va beaucoup de temps & de patience, ce prouerbe nous enseigne qu’il n’est rien qu’on ne puisse parfaire par le menu, & petit à petit si on y veut mestre l’estude & le temps, suyuant ce que dit vue bonne vieille en Theocrite.

—————————— ἐς Τροίην πειρώμενοι ἦνθον ᾿Αχαιοί,
Καλλίστα παίδων, πείρᾳ θην πάντα τελεῖται.

Les petits ruisseaux font les grandes riuieres.

Ce prouerbe n’est fort esloigné de la signification de l’autre, & nous apprend que beaucoup de petites pieces ioinctes ensemble, font vn grand corps, ainsi que plusieurs petits ruisseaux s’assemblans en vn, font vn grand fleuue.

Pas à pas on va bien loin.

Signifiant que toute besongne, pour longue qu’elle soit, si on y veut continuellement petit à petit trauailler, se trouuera en fin parfaite.

Il n’est nulles laides amours.

C’est vne maxime confessée de tous, que la beauté d’vne femme, est ce qui attire le plus l’omme á l’aymer, mesmes que la nature a donné aux femmes pour toutes armes la beauté, par laquelle elle se rend victorieuse de toutes choses. Voicy comme en parle le bon Anacreon apres auoir declaré les choses par lesquelles toutes sortes d’animaux & mesme les hommes sont ornez & garniz, parlant de la femme par maniere d’interrogation, dit ainsi :

Τί οὖν δίδωσι ; puis respond, κάλλος
Ἀντ’ ἀσπίδων ἁπασῶν, ἀντ’ ἐγχέων ἁπάντων.
Νικᾷ δὲ καὶ σίδηρον, καὶ πύρ καλλή τις οὖσα.

Souuent aussi au contraire il aduient que l’amour qui precede fait trouuer belle celle qu’on ayme encor qu’elle ne le soit pas, suyuant ce qui est dit en Theocrite en la 6. Eglogue.

—————————— ἦ γὰρ ἔρωτι
πολλάϰις ὦ πολύφαμε τὰ μὴ καλὰ καλὰ πέφανται.

C’est à dire mot á mot, Certes à l’amour bien souuent, ô Polypheme, les choses non belles, se monstrent belles. Sur quoy faut noter, que ce mot amour en cest endroit, se prend pour la personne amoureuse. Et est le sens de ce prouerbe, Il n’est nulles laides amours, qui se peut estendre generalement à toutes choses, pour signifier que tout cela qu’on ayme & qu’on a en affection, on le trouue beau quel qu’il soit.

Ons adiouste pour contraire.

Il n’est nulle belle prison.

D’autant que la liberté est si aymable & precieuse à tout homme, que sans icelle nul lieu ne peut estre agreable, feust-ce vne maison bastie toute d’or, si elle sert de prison.

A tous oyseaux leurs nids sont beaux.

C’est à dire, que chacun trouue sa propre maison belle, & luy en plaist l’habitation, à l’exemple de tous oyseaux.

Il n’est chassé que de vieux chiens.

Par ce prouerbe nous est enseigné, encor que les ieunes gens ayent beaucoup de sçauoir acquis, toutesfois ne pouuans encor auoir l’experience que l’aage & le temps apportēt aux hommes de iour à autre, ils ne sont si capables d’aucune fonction que ce soit, comme ceux qui ont plus grand aage : Tout ainsi que les ieunes chiens, tant soient ils de bonne race & bien dressez par les Veneurs, ne sont neantmoins si rusez & seurs pour rendre la beste pourchassée prise, comme sont les anciens.

Amour peut moult, argent peut tout.

Ce prouerbe nous apprend que veritablement amour a grande force pour gaigner les femmes, mais que l’argent, c’est à dire les dons & presents peuuent encor d’auantage. C’est de quoy se plaint le bon Anacreon en vne sienne Ode, souhairant la mort à celuy qui premierement ayma l’argēt Voicy comme elle commence. Σαλευτὸν τὸ μὴ φιλήσαι. Et ce qui suit, qu’il faut voir en son lieu. Aristophane n’en dit pas moins en sa comedie, intitulée Plutus, où il est escrit.