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18 PROVERBES.

Escorcher l’anguille par la queuë.

Ceux qui ont veu escorcher des anguillet sçauent qu’il faut necessairement commencer par la queue, & que faisant autrement iamais on n’en viendra à bout. De lá est pris ce prouerbe, contre ceux lesquels en ce qu’ils pretendent & s’efforcent faire, commencent autrement qu’il ne faut & ne gardent l’ordre requis, dont arriue qu’ils se trauaillent en vain, & ne paruiennent à leurs intentions.

Mettre la charrue deuant les bœufs.

Ce prouerbe declare vn mesme desordre que le precedant és choses que nous voulons faire, assauoir de faire aller deuant ce qui doit estre dernier : Pris du labourage de la terre, où il est necessaire que les bœufs qui trainent la charrue marchent les premiers.

Manger son pain blanc le premier.

Ceci se dit de ceux lesquels en leur ieunesse, & au commencemēt de tout le progrez de leur vie, ont eu toute prosperité, mais sur la fin changement d’aise & repos, en trauail & sollicitude.

Se chatouiller pour rire.

C’est chose toute notoire que le rire est vne affection propre & peculiere à l’homme seul, & pour cela aucuns out voulu definir l’homme par ces mots, animal risibile, à quoy toutes fois les vns sont plus enclins de nature que les autres, & ont certaines parties au corps qui ne peuuēt tant soit peu estre touchées d’autres personnes, que cela ne les incite & prouoque incontinent à rire, encor qu’ils n’en eussent aucune enuie. Les François appellant ceste façon d’attoucher quelqu’vn, chatoüiller : De là est venu qu’a ceux lesquels á tout propos & souuent sans aucun subject se forgent des occasions telles quelles pour rire & gaudir, on leur met ce dicton au deuant, assavoir qu’ils se chatoüillent d’eux mesmes pour se faire rire. C’est à dire sans que d’ailleurs leur en soit donné suffisante occasion.

Rompre l’andouille au genouil.

La nature differente des choses, porte que les vnes se maniēt d’vne sorte les autres d’vne autre : les vns se peuuent rompre sur le genouil ou autrement, comme font les esclats de bois bien sec & deliez, les autres requirent le cousteau & ferrements pour estre mises en deux pieces, comme lozier verd & tout autre bois flexible, quand il est eneor verd : De ceste façon sont les andoüilles lesquelles ne se peuuent rompre, & les faut coupper au cousteau : Ce prouerbe donc apprend qu’en toutes nos actiōs nous ne pouuons paruenir à ce que nous pretendons, si ce n’est par les moyens ordinaires & à ce conuenables.

Rompre plustost que plier.

Ce prouerbe est pris de mesme similitude que le precedant, & s’entend de ceux lesquels sont tellement confirmez & endurcis en leur maniere de viure qu’ils ne peuuent plus receuoir aucun changement ni correction, & se laisseroyent plustost assommer de coups, que de plier tant soit peu sous les remonstrances qui leur sont faites.

Vous frappez à vn mesme coin.

Par ceci sont entendus plusieurs personnes ensemble, qui seroient d’vne mesme faction & coniuration. Ou autrement du tout ressemblans l’vn à l’autre en quelques opinions & facons de faire : Tout ainsi que les testons, francs, & autres especes forgeés en vne mesme boutique de monnoye, & frapez d’vn mesme coin, portent vne mesme figure & charactere.

Bonne mine & mauuais ieu.

Ce prouerbe est pris des ioueurs lesquels estans assis vn deuant l’autre ou costé, en maniant leurs cartes se gardēt le plus qu’ils peuuent, de ne donner par leur contenance aucun signe d’auoir bon ou mauuais ieu. Et en ay veu quelques vns venir iusques là, que n’estant en leur puissance de s’en garder, iamais ne iouoyent qu’ils n’eussent en teste vn chapperon a gorge, tel qu’on porte par les champs contre les rigueurs de Chimo : Et lors que quelque nouuelle carte leur deuoit venir, de peur de descouurir à leur visage par aucun signe d’allegresse ou tristess qu’elle elle estoit, abbaissoient du tout la barbure & ne monstroyent que les yeux : & ce affin de pouuoir mieux donner vne cassade, ou se garder qu’elle leur fust donnée. L’on pourra done appliquer ce mesme dire à ceux, lesquels encor que les affaires n’aillent du tout à souhait, sont neantmoins si retenus & bien aduisez qu’il ne laissent, és compagnies, de monstrer vn visage ioyeux, sous lequel ils dissimulent leur tristesse.

Courir apres son esteuf.

Ceux lesquels ont en main & sont ia saisis de quelque chose qui leur est propre, ne voulanr lascher prise, & sous quelque pretexte se mettre en danger de la perde, ou du moins d’estre contrains de poursuiure apres auoir laissé aller ce que desia ils tenoyent, peuuent selon ce prouerbe dire qu’ils ne veulent courir apres leur esteuf : C’est dire que tenant la chose en main, ils ne la veulent abandonner pour la poursuiure apres.

Laisser son enfant morueux plustost que luy arracher le nez.

Ce dire nous apprend que ceux qui ont des personnes à gouuerner tellemēt inueterez & endurcis en aucunes complexions & mauuaises coustumes, desquelles on les voudroit biē retirer, & n’est pas possible de le faire entierement, doiuent plustost tascher d’en corriger le plus, & en laisser le moins qu’ils pourront, que par les vouloir trop presser, les despiter & rebuter du tout. Ceste similitude prise des petits enfans, lesquels estans ordinairement morueux on leur arracheroit plustost le nez, que de les garder du tout qu’ils n’ayent tousiours quelque roupie pendante sur leurs leures.

Se couurir d’vn sac mouillé.

Ce prouerbe appartient à ceux qui iamais ne veulent confesser leur faute, & quand on leur monstre, alleguent des excuses friuoles, & aussi propres à leur iustification comme si quelqu’vn pour se garantir de la pluye, mettoie sur sa teste vn sac desia tout moüillé & degoutant l’eau, qui le moüilleroit encore d’auantage. De mesme les excuses iustes, dōt telles personnes se pensent bien couurir, ne seruent que de les conuaincre de plus en plus.

Vouloir faire à croire que veßies sont lanternes.

Ce prouerbe est propre à ceux lesquels par babil & vaines inductions, s’efforcent de persuader des choses entierement absurdes & dont les plus grossiers peuuēt apperceuoir la fausseté.

Faire à Dieu jarbe de fuierre.

Ce dicton a esté corrempu cy deuant par beaucoup de gens & des doctes mesmes, lesquels au lieu de jarbe difoient barbe, mais quand on sçaura son origine, la correction en sera facile. L’on sçait que de tout temps il a esté ordōné & en coustume de payer au seigneur ie disme, c’est assauoir vne diziesme partie des biens que l’hōme recueilloit des fruits de sa terre. Ce droit estoit tellement sacrosainct que chacū en toute verité laissoit sur le chāp ce qui eftoir dudit disme. Est aduenu qu’aucuns profanes & faisant aussi peu de difficulté de tromper Dieu comme les hōmes, faisoyent tour expres certaines jarbes esquelles n’y auoit point de grain & de cela payoyent leurs dismes. Ce qui a donné lieu à ce prouerbe, lequel se peut appliquer à toute personne de mauuaise conscience soit enuers Dieu soit enuers les hommes, comme sont telles gens.

Homme de porc & de bœuf.

Par ces mots on veut signifier vn hōme grossier, inciuil, malhonneste, mal apprins, tels que sont ordinairement ceux de plus vil & bas degré d’entre le peuple : & d’autant que Ia nourriture plus familiere à telles gens est du lard, du porc, du bœuf & autres grosses viandes, on les appelle ainsi, à la differēce des autres plus honestes, plus delicats, & de plus belle vie & coustumes, lesquels sont aussi nourris de choses plus delicates, comme mouton, chapons, perdrix & autres menües viandes. Comme si on disoit cest hōme se monstre du rang des porchiers & bouuiers en toute sa conuersation, ou bien monstre qu’il y a autant de difference entre luy à vn honneste homme, comme entre les viandes le porc & le bœuf sans difference du chappon & de la perdrix.

Homme de sac & de corde.

Ce prouerbe ressemble aucunement au precedent, mais il est plus iniurieux : car par ces mots est entendu vn scelerat & digne d’estre puni par la main du bourreau, assauoir estre ietté en l’eau & noyé dans vn sac, ou bien pēdu au gibet par vn licol de corde.

Faire des chasteaux en Espagne.

Il semble que ces mots represent aucunement ce verbe Grec ἀεροβατεῖν que Ciceron selon Budee interprete en Latin in summa inanitate versari. Aristophane en sa Comedie des Nues, se mocquant de Socrates, la fait ainsi parler Ἀεροβατῶ καὶ περιφρονῶ τὸν ἥλιον. C’est à dire ie me promeine en l’air & contemple & considere le soleil : Qui est autant cōme s’il disoit, ie fais des chasteaux en Espagne. Lucian en quelque endroit pour ἀεροβατεῖν, vse de ce mot ἀεροδρομεῖν, en somme cette locution Greque & ce prouerbe Francois, faire des chasteaux en Espagne, ou bien en l’air, ne signifie autre chose sinō s’amuser à des friuoles & vaines cōtemplations & ne penser à bon escient à ses propres affaires qui touchent de plus pres. Ceux qui recerchent de plus loing l’origine de ce prouerbe, disent que Cecilius Metellus ayant assiegé la ville de Trebie en Arragon, & recognu que pour estre trop bien munie, il ne pouuoit venir bout de son dessein, leua le siege & s’en alla par toute la contrée voltigeant ça & là. Il bastissoit à tout propos sur le haut des montagnes ie ne sçay quels forts, puis les laissoit & faisoit des remuemens de terre parmi des marescages, & à l’embouscheure de quelques fondrieres & vallons. Ces bizarreries inutiles donnerent occasion à vn de ses plus familiers de s’enquerir à quel dessein il faisoit toutes ces choses, auquel il respondit, que s’il pensoit que sa chemise en cogneust rien, il la despoüilleroit & brusleroit tout à l’heure. La dessus les Arragonois ne pouuans imaginer ny cōprēdre à quoy tendoyēt tous ces mysteres, s’estans tenus plus nonchalamment que de coustume sur leurs gardes, lors qu’il vit l’occasion il rebroussa tout court par vne belle nuict, & s’alla camper deuāt la ville, qui s’estant trouuée despourueuë fut contrainte de se rendre. Ainsi font des chasteaux en Espagne ceux qui feignās auoir autre chose en la pensée, ne laissent d’aduiser à leurs affaires & y mettre vn bon ordre.