serait pas lié à un bœuf, à un cheval, à une vache, ou à un cochon, comme à présent. Je tiens à m’expliquer sur ce point avec impartialité, et comme quelqu’un qui n’est pas intéressé dans le succès ou l’insuccès de la présente ordonnance économique et sociale. J’étais plus indépendant que nul fermier de Concord, car je n’étais enchaîné à maison ni ferme, et pouvais suivre à tout moment la courbe de mon esprit, lequel en est un fort tortueux. En outre, me trouvant déjà mieux dans mes affaires que ces gens, ma maison eût-elle brûlé ou ma récolte manqué, que je ne me fusse guère trouvé moins bien dans mes affaires qu’avant.
J’ai accoutumé de penser que les hommes ne sont pas tant les gardiens des troupeaux que les troupeaux sont les gardiens des hommes, tellement ceux-là sont plus libres. Hommes et bœufs font échange de travail, mais si l’on ne considère que le travail nécessaire, on verra que les bœufs ont de beaucoup l’avantage, tant leur ferme est la plus grande. L’homme fournit un peu de sa part de travail d’échange, en ses six semaines de fenaison, et ce n’est pas un jeu d’enfant. Certainement une nation vivant simplement sous tous rapports – c’est-à-dire une nation de philosophes – ne commettrait jamais telle bévue que d’employer le travail des animaux. Oui, il n’a jamais été ni ne semble devoir être de si tôt de nation de philosophes, pas plus, j’en suis certain, que l’existence en puisse être désirable. Toutefois, jamais je n’aurais, moi, dressé un cheval plus qu’un taureau, ni pris en pension en échange de quelque travail qu’il pût faire pour moi, de peur de devenir tout bonnement un cavalier ou un bouvier ; et la société, ce faisant, parût-elle la gagnante, sommes-nous certains que ce qui est gain pour un homme, n’est point perte pour un autre, et que le garçon d’écurie a les mêmes motifs que son maître de se trouver satisfait ? En admettant que sans cette aide quelques ouvrages publics n’eussent pas été construits, dont l’homme partage la gloire avec le bœuf et le cheval, s’ensuit-il qu’il n’eût pu dans ce cas accomplir des ouvrages encore plus dignes de lui ? Lorsque les hommes se mettent à faire un travail non pas simplement inutile ou artistique, mais de luxe et frivole, avec leur assistance, il va de soi qu’un petit nombre fait tout le travail d’échange avec les bœufs, ou, en d’autres termes, devient esclave des plus forts. L’homme ainsi non seulement travaille pour l’animal en lui, mais, en parfait symbole, travaille pour l’animal hors de lui. Malgré maintes solides maisons de brique ou de pierre, la prospérité du fermier se mesure encore suivant le degré auquel la grange couvre de son ombre la maison. Cette ville-ci passe pour posséder les plus grandes maisons de bœufs, de vaches et de chevaux qui soient aux alentours, et elle n’est pas en arrière pour ce qui est de ses édifices publics ; mais en fait de salles destinées à un libre culte ou à une libre parole, il en est