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tout autour du mur, et tapissent ce bois d’écorce d’arbre ou de quelque chose autre afin de prévenir les éboulements ; planchéient cette cave, et la lambrissent au-dessus de la tête en guise de plafond, élèvent un toit d’espars sur le tout, et couvrent ces espars d’écorce ou de mottes d’herbe, de manière à pouvoir vivre au sec et au chaud en ces maisons, eux et tous les leurs, des deux, trois et quatre années, étant sous-entendu qu’on fait traverser de cloisons ces caves adaptées à la mesure de la famille. Les riches et principaux personnages de la Nouvelle-Angleterre, au début des colonies, commencèrent leurs premières habitations dans ce style, pour deux motifs : premièrement, afin de ne pas perdre de temps à bâtir, et ne pas manquer de nourriture à la saison suivante ; secondement, afin de ne pas rebuter le peuple de travailleurs pauvres qu’ils amenaient par cargaisons de la mère-patrie. Au bout de trois ou quatre ans, le pays une fois adapté à l’agriculture, ils se construisirent de belles maisons, auxquelles ils consacrèrent des milliers de dollars. »

En ce parti adopté par nos ancêtres il y avait tout au moins un semblant de prudence, comme si leur principe était de satisfaire d’abord aux plus urgents besoins. Mais est-ce aux plus urgents besoins, que l’on satisfait aujourd’hui ? Si je songe à acquérir pour moi-même quelqu’une de nos luxueuses habitations, je m’en vois détourné, car, pour ainsi parler, le pays n’est pas encore adapté à l’humaine culture, et nous sommes encore forcés de couper notre pain spirituel en tranches beaucoup plus minces que ne faisaient nos ancêtres leur pain de froment. Non point que tout ornement architectural soit à négliger même dans les périodes les plus primitives ; mais que nos maisons commencent par se garnir de beauté, là où elles se trouvent en contact avec nos existences, comme l’habitacle du coquillage, sans être étouffées dessous. Hélas ! j’ai pénétré dans une ou deux d’entre elles et sais de quoi elles sont garnies.

Bien que nous ne soyons pas dégénérés au point de ne pouvoir à la rigueur vivre aujourd’hui dans une grotte ou dans un wigwam, sinon porter des peaux de bête, il est mieux certainement d’accepter les avantages, si chèrement payés soient-ils, qu’offrent l’invention et l’industrie du genre humain. En tel pays que celui-ci, planches et bardeaux, chaux et briques, sont meilleur marché et plus faciles à trouver que des grottes convenables, ou des troncs entiers, ou de l’écorce en quantités suffisantes, ou même de l’argile bien trempée ou des pierres plates. Je parle de tout cela en connaissance de cause, attendu que je m’y suis initié de façon à la fois théorique et pratique. Avec un peu plus d’entendement, nous pourrions employer ces matières premières à devenir plus riches que les plus riches d’aujourd’hui, et à faire de notre civilisation une grâce du ciel. L’homme civilisé n’est autre qu’un sauvage