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de gagner ma vie honnêtement, en ayant du temps de reste pour mes travaux personnels, était une question qui me tourmentait plus encore qu’elle ne fait aujourd’hui, car malheureusement je me suis quelque peu endurci, j’avais coutume de voir le long de la voie du chemin de fer une grande boîte, de six pieds de long sur trois de large, dans quoi les ouvriers serraient leurs outils le soir, et l’idée me vint que tout homme, à la rigueur, pourrait moyennant un dollar s’en procurer une semblable, pour, après y avoir percé quelques trous de vrille afin d’y admettre au moins l’air, s’introduire dedans lorsqu’il pleuvait et le soir, puis fermer le couvercle au crochet, de la sorte avoir liberté d’amour, en son âme être libre[1]. Il ne semblait pas que ce fût la pire, ni, à tout prendre, une méprisable alternative. Vous pouviez veiller aussi tard que bon vous semblait, et, à quelque moment que vous vous leviez, sortir sans avoir le propriétaire du sol ou de la maison à vos trousses rapport au loyer. Maint homme se voit harcelé à mort pour payer le loyer d’une boîte plus large et plus luxueuse, qui n’eût pas gelé à mort en une boîte comme celle-ci. Je suis loin de plaisanter. L’économie est un sujet qui admet de se voir traité avec légèreté, mais dont on ne saurait se départir de même. Une maison confortable, pour une race rude et robuste, qui vivait le plus souvent dehors, était jadis faite ici presque entièrement de tels matériaux que la Nature vous mettait tout prêts sous la main. Gookin, qui fut surintendant des Indiens sujets de la colonie de Massachusetts, écrivant en 1674, déclare : « Les meilleures de leurs maisons sont couvertes fort proprement, de façon à tenir calfeutré et au chaud, d’écorces d’arbres, détachées de leurs troncs au temps où l’arbre est en sève, et transformées en grandes écailles, grâce à la pression de fortes pièces de bois, lorsqu’elles sont fraîches… Les maisons plus modestes sont couvertes de nattes qu’ils fabriquent à l’aide d’une espèce de jonc, et elles aussi tiennent passablement calfeutré et au chaud, sans valoir toutefois les premières… J’en ai vu de soixante ou cent pieds de long sur trente de large… Il m’est arrivé souvent de loger dans leurs wigwams, et je les ai trouvés aussi chauds que les meilleures maisons anglaises. » Il ajoute qu’à l’intérieur le sol était ordinairement recouvert et les murs tapissés de nattes brodées d’un travail excellent, et qu’elles étaient meublées d’ustensiles divers. Les Indiens étaient allés jusqu’à régler l’effet du vent au moyen d’une natte suspendue au-dessus du trou qui s’ouvrait dans le toit et mue par une corde. Dans le principe un abri de ce genre se construisait en un jour ou deux tout au plus, pour être démoli et emporté en quelques heures ; et il n’était pas de famille qui ne possédât la sienne, ou son appartement en l’une d’elles.

  1. Richard Lovelace, To Althea from Prison.