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à toute entreprise qui réclame des habits neufs, et non pas plutôt un porteur d’habits neuf. Si l’homme n’est pas neuf, comment faire aller les habits neufs ? Si vous avez en vue quelque entreprise, faites-en l’essai sous vos vieux habits. Ce qu’il faut aux hommes, ce n’est pas quelque chose avec quoi faire, mais quelque chose à faire, ou plutôt quelque chose à être. Sans doute ne devrions-nous jamais nous procurer de nouveau costume, si déguenillé ou sale que soit l’ancien, que nous n’ayons dirigé, entrepris ou navigué en quelque manière, de façon à nous sentir des hommes nouveaux dans cet ancien, et à ce que le garder équivaille à conserver du vin nouveau dans de vieilles outres. Notre saison de mue, comme celle des volatiles, doit être une crise dans notre vie. Le plongeon, pour la passer, se retire aux étangs solitaires. De même aussi le serpent rejette sa dépouille, et la chenille son habit véreux, grâce à un travail et une expansion intérieurs ; car les hardes ne sont que notre cuticule et enveloppe mortelle[1] extrêmes. Autrement on nous trouvera naviguant sous un faux pavillon, et nous serons inévitablement rejetés par notre propre opinion, aussi bien que par celle de l’espèce humaine.

Nous revêtons habit sur habit, comme si nous croissions à la ressemblance des plantes exogènes par addition externe. Nos vêtements extérieurs, souvent minces et illusoires, sont notre épiderme ou fausse peau, qui ne participe pas de notre vie, et dont nous pouvons nous dépouiller par-ci par-là sans sérieux dommage ; nos habits plus épais, constamment portés, sont notre tégument cellulaire, ou « cortex » ; mais nos chemises sont notre liber ou véritable écorce, qu’on ne peut enlever sans « charmer »[2] et par conséquent détruire l’homme. Je crois que toutes les races à certains moments portent quelque chose d’équivalent à la chemise. Il est désirable que l’homme soit vêtu avec une simplicité qui lui permette de poser les mains sur lui dans les ténèbres, et qu’il vive à tous égards dans un état de concision et de préparation tel que l’ennemi vînt-il à prendre la ville, il puisse, comme le vieux philosophe[3], sortir des portes les mains vides sans inquiétude. Quand un seul habit, en la plupart des cas, en vaut trois légers, et que le vêtement à bon marché s’acquiert à des prix faits vraiment pour contenter le client ; quand on peut, pour cinq dollars, acheter une bonne veste, qui durera un nombre égal d’années, pour deux dollars un bon pantalon, des chaussures de cuir solide pour un dollar et demi la paire, un chapeau d’été pour un quart de dollar, et une casquette d’hiver pour soixante-deux cents et demi, laquelle fabriquée chez soi

  1. Hamlet, act. III, Sc. 1er.
  2. « Charmer » en langage forestier, signifie : faire une incision circulaire à un arbre, opération qui le fait périr.
  3. Bias, l’un des sept Sages de la Grèce.