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radicule de haut en bas, et voici qu’en outre, elle peut diriger sa jeune pousse de bas en haut avec confiance. Pourquoi l’homme a-t-il pris si fermement racine en terre, sinon pour s’élever en semblable proportion là-haut dans les cieux ? – car les plantes nobles se voient prisées pour le fruit qu’elles finissent par porter dans l’air et la lumière, loin du sol, et reçoivent un autre traitement que les comestibles plus humbles, lesquels, tout biennaux qu’ils puissent être, se voient cultivés seulement jusqu’à ce qu’ils aient parfait leur racine, et souvent coupés au collet à cet effet, de sorte qu’en général on ne saurait les reconnaître au temps de leur floraison.

Je n’entends pas prescrire de règles aux natures fortes et vaillantes, lesquelles veilleront à leurs propres affaires tant au ciel qu’en enfer, et peut-être bâtiront avec plus de magnificence et dépenseront avec plus de prodigalité que les plus riches sans jamais s’appauvrir, ne sachant comment elles vivent, – s’il en est, à vrai dire, tel qu’on en a rêvé ; plus qu’à ceux qui trouvant leur courage et leur inspiration précisément dans le présent état de choses, le choient avec la tendresse et l’enthousiasme d’amoureux, – et, jusqu’à un certain point, je me reconnais de ceux-là ; je ne m’adresse pas à ceux qui ont un bon emploi, quelles qu’en soient les conditions, et ils savent s’ils ont un bon emploi ou non ; – mais principalement à la masse de mécontents qui vont se plaignant avec indolence de la dureté de leur sort ou des temps, quand ils pourraient les améliorer. Il en est qui se plaignent de tout de la façon la plus énergique et la plus inconsolable, parce qu’ils font, comme ils disent, leur devoir. J’ai en vue aussi cette classe opulente en apparence, mais de toutes la plus terriblement appauvrie, qui a accumulé la scorie, et ne sait comment s’en servir, ou s’en débarrasser, ayant ainsi de ses mains forgé ses propres chaînes d’or ou d’argent.


Si je tentais de raconter comment j’ai désiré employer ma vie au cours des années passées, il est probable que je surprendrais ceux de mes lecteurs quelque peu au courant de mon histoire actuelle ; il est certain que j’étonnerais ceux qui n’en connaissent rien. Je me contenterai de faire allusion à quelques-unes des entreprises qui ont été l’objet de mes soins.

En n’importe quelle saison, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, je me suis inquiété d’utiliser l’encoche du temps, et d’en ébrécher en outre mon bâton ; de me tenir à la rencontre de deux éternités, le passé et l’avenir[1], laquelle n’est autre que le moment présent ; de me tenir de l’orteil sur cette ligne. Vous pardonnerez quelques obscurités, attendu qu’il est en mon

  1. Thomas Moore (Lalla Rookh).