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humaine et l’enflammer. La matière était pure et son art était pur ; comment le résultat pouvait-il être autre que merveilleux[1] ?

Nulle face que nous puissions donner à une affaire jamais ne nous présentera pour finir autant d’avantage que la vérité. Celle-ci seule est d’un bon user. Pour la plupart nous ne sommes pas où nous sommes, mais dans une fausse position. Par suite d’une infirmité de notre nature, supposant un cas, nous nous plaçons dedans, et nous voilà dans deux cas en même temps, ce qui rend doublement difficile de s’en tirer. Aux heures saines nous n’envisageons que les faits, le cas qui est. Dites ce que vous avez à dire, non pas ce que vous devez dire. Toute vérité vaut mieux que faire semblant. On demanda à Tom Hyde[2], le chaudronnier debout au pied du gibet, s’il avait quelque chose à dire. Sa réponse fut : « Dites aux tailleurs de se rappeler de faire un nœud à leur fil avant d’entreprendre le premier point. » La prière de son compagnon est tombée dans l’oubli.

Si humble que soit votre vie, faites-y honneur et vivez-la ; ne l’esquivez ni n’en dites de mal. Elle n’est pas aussi mauvaise que vous. C’est lorsque vous êtes le plus riche qu’elle paraît le plus pauvre. Le chercheur de tares en trouvera même au paradis. Aimez votre vie, si pauvre qu’elle soit. Peut-être goûterez-vous des heures aimables, palpitantes, splendides, même en un asile des pauvres. Les fenêtres de l’hospice reflètent le soleil couchant avec autant d’éclat que celles de la demeure du riche ; la neige fond aussitôt devant sa porte au printemps. Je ne vois pas comment un esprit calme ne pourrait vivre là aussi content et y nourrir des pensées aussi réjouissantes qu’en un palais. Souvent les pauvres de la ville me semblent mener la vie la plus indépendante qui soit. Peut-être sont-ils simplement assez « grands » pour recevoir sans crainte. On se croit en général au-dessus des secours qu’accorde la ville ; mais plus souvent arrive-t-il qu’on n’est pas au-dessus de se secourir soi-même par des moyens déshonnêtes, qui devraient attirer plus de déconsidération. Cultivez la pauvreté comme une herbe potagère, comme la sauge. Ne vous embarrassez point trop de vous procurer de nouvelles choses, soit en habits, soit en amis. Retournez les vieux, retournez à eux. Les choses ne changent pas ; c’est nous qui changeons. Vendez vos habits et gardez vos pensées. Dieu veillera à ce que vous ne manquiez pas de société. Fussé-je relégué dans le coin d’un galetas pour le reste de mes jours, telle une araignée, que le monde resterait tout aussi vaste pour moi tant que je serais entouré de mes pensées. Le philosophe a dit : « D’une armée

  1. Ce conte passe pour avoir été entièrement imaginé par Henry David Thoreau.
  2. Tom Hyde, sujet de Boston, pendu comme voleur.