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côte, une fois découverte ? Est-ce la source du Nil, du Niger, ou du Mississipi, ou un passage Nord-Ouest autour de ce continent-ci, qu’il s’agit de trouver ? Sont-ce là les problèmes qui importent le plus à l’espèce humaine ? Franklin est-il le seul homme perdu, pour que sa femme mette cette ardeur à le chercher ? Mr. Grinnel[1] sait-il où il est lui-même ? Soyez plutôt le Mungo Park, le Lewis et Clarke et Frobisher, de vos propres cours d’eau et océans ; explorez vos propres hautes latitudes – avec des cargaisons de viandes conservées pour vous soutenir, s’il est nécessaire ; et empilez les canettes vides jusqu’au ciel pour enseigne. Les viandes conservées ne furent-elles inventées que pour conserver la viande ? Que dis-je ? Soyez un Colomb pour de nouveaux continents et mondes entiers renfermés en vous, ouvrant de nouveaux canaux, non de commerce, mais de pensée. Tout homme est le maître d’un royaume à côté duquel l’empire terrestre du Czar n’est qu’un chétif État, une protubérance laissée par la glace. Encore certains peuvent-ils se montrer patriotes qui n’ont pas le respect d’eux-mêmes, et sacrifient le grand au moindre. Ils aiment la boue dont leur tombe est faite, sans professer ombre de sympathie pour l’esprit qui cependant peut animer leur argile. Le patriotisme est une lubie qu’ils ont en tête. Que signifiait cette Expédition de Reconnaissance dans la Mer du Sud[2], avec tout son étalage et sa dépense, sinon la reconnaissance indirecte de ce fait qu’il est des continents et des mers dans le monde moral, pour lesquels tout homme est un isthme ou un canal, encore qu’inexploré par lui, mais qu’il est plus facile de naviguer des milliers et milliers de milles à travers froid, tempête et cannibales, dans un navire de l’État, avec cinq cents hommes et mousses pour vous aider, qu’il ne l’est d’explorer seul la mer intime, l’océan Atlantique et Pacifique de son être.

« Erret, et extremos alter scrutetur Iberos,
Plus habet hic vitæ, plus habet ille viæ.
 »[3]

Let them wander and scrutinise the outlandish Australians :
I have more of God, they more of the road.
[4]

Quel besoin d’aller faire le tour du monde pour compter les chats de Zanzibar ? Toutefois faites-le jusqu’à ce que vous soyez en mesure de mieux

  1. Henry Grinnell, marchand de New York, monta deux expéditions pour aller à la recherche de Franklin, l’explorateur.
  2. Expédition de 1838-1842.
  3. Dernière ligne du poème de Claudien : Sur un vieillard de Vérone.
  4. Qu’ils errent et aillent scruter les lointains Australiens.
    J’ai plus de Dieu, ils ont plus de route.