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Le vingt-neuf avril, comme je pêchais au bord de la rivière près du pont de l’Angle-de-Neuf-Acres, debout sur l’herbe et les racines de saule tremblantes, où guettent les rats musqués, j’entendis un cliquetis singulier, un peu comme celui des bâtons que les gamins font jouer avec leurs doigts, quand, regardant en l’air, j’observai un faucon, tout fluet et gracieux, l’air d’un engoulevent, en train tour à tour de s’élever tel une ride et de dégringoler d’une verge ou deux, en montrant le dessous de ses ailes, qui luisait comme un ruban de satin au soleil, ou comme l’intérieur nacré d’un coquillage. Ce spectacle me rappela la fauconnerie avec ce qu’il y a de noblesse et de poésie associées à cette chasse. Le merlin, me parut-il qu’on eût pu l’appeler, mais peu m’importe son nom. Il s’agissait du vol le plus éthéré que j’eusse jamais contemplé. Il ne voltigeait pas simplement comme un papillon, ni ne planait comme les buses, mais folâtrait avec une orgueilleuse confiance dans les plaines de l’air ; montant et encore avec son rire étrange, il répétait sa libre et superbe chute, en roulant sur lui-même tel un cerf-volant, pour se relever de son orgueilleuse culbute comme si jamais il n’eût posé la patte sur la terra firma. Il semblait qu’il fût sans compagnon dans l’univers – à s’amuser là tout seul – et n’en demander d’autres que le matin et l’éther avec quoi il jouait. Il n’était pas solitaire, mais faisait solitaire toute la terre au-dessous de lui. Où était la mère qui l’avait couvé, sa famille, et son père dans les cieux ? Habitant de l’air, on l’eût dit rattaché à la terre par quelque œuf couvé un jour en la fente d’un rocher ; à moins que le nid de sa naissance n’eût été fait à l’angle d’un nuage, tressé de bordures d’arc-en-ciel et de soleil couchant, garni de quelque douillet brouillard de la Saint-Jean dérobé à la terre ? Son aire aujourd’hui quelque nuage escarpé.

Sans compter que je me procurai un excellent plat de poissons d’or et d’argent et de cuivre étincelant, qu’on eût dit un fil de joyaux. Ah ! j’ai pénétré dans ces marais le matin de plus d’un premier jour de printemps, sautant de motte en motte, de racine de saule en racine de saule, alors que la vallée sauvage de la rivière et les bois étaient baignés d’une lumière si pure et si brillante qu’elle en eût réveillé les morts, s’ils eussent sommeillé