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proche de la nuit, au moment où le soleil retirait son influence. Si le temps suit ses phases régulières, un étang tire son coup de canon du soir avec ponctualité. Mais au milieu du jour, étant plein de lézardes, et l’air aussi moins élastique, il avait complètement perdu sa résonance, et il est probable qu’un coup frappé sur lui n’eût alors étourdi les poissons plus que les rats musqués. Les pêcheurs prétendent que le « tonnerre de l’étang » effarouche le poisson et l’empêche de mordre. L’étang ne tonne pas tous les soirs, et je ne saurais dire à coup sûr quand attendre son tonnerre ; mais alors que je ne peux percevoir aucune différence dans le temps, lui, le peut. Qui se serait attendu à ce qu’une chose si vaste, si froide, et pourvue d’une telle épaisseur de peau, se montrât si sensible ? Toutefois il a sa loi à laquelle il rend l’obédience de son tonnerre lorsqu’il le doit, aussi sûrement que les bourgeons se développent au printemps. La terre est toute en vie et couverte de papilles. Le plus large des étangs est aussi sensible aux changements atmosphériques que le globule de mercure en son tube.

Un des attraits de ma venue dans les bois pour y vivre était d’y trouver occasion et loisir de voir le printemps arriver. La glace de l’étang commence enfin à se cribler d’alvéoles, et j’y peux incruster mon talon en me promenant. Brouillards, pluies et soleils plus chauds fondent peu à peu la neige ; les jours sont devenus sensiblement plus longs ; et je vois comment j’atteindrai la fin de l’hiver sans ajouter à mon tas de bois, car les grands feux ne sont plus nécessaires. J’attends sur le qui-vive les premiers signes du printemps, d’ouïr le chant possible de quelque oiseau à son arrivée, ou le pépiement de l’écureuil rayé, car ses provisions doivent se trouver maintenant presque épuisées, ou de voir s’aventurer la marmotte hors de ses quartiers d’hiver. Le treize mars, j’avais entendu l’oiseau-bleu[1], le pinson et l’aile-rouge que la glace avait encore près d’un pied d’épaisseur. Au fur et à mesure que le temps se faisait plus chaud elle ne se trouvait pas sensiblement usée par l’eau, ni défoncée et mise à flot comme dans les rivières, mais quoique complètement fondue sur une demi-verge de large autour de la rive, restait en son milieu simplement alvéolée et saturée d’eau, au point de vous permettre de passer le pied au travers, alors qu’épaisse de six pouces ; mais le lendemain vers le soir, peut-être, après une pluie chaude suivie de brouillard, la voilà complètement disparue, tout en allée avec ce brouillard, secrètement ravie. Une année je la traversai par le milieu cinq jours seulement avant son entière disparition. En 1845, Walden fut complètement décou-

  1. Le bluebird, ou oiseau-bleu, est un oiseau d’Amérique apparenté à la fauvette.