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Là gisaient ses vieux vêtements froncés par l’usage, comme si ce fût lui-même, sur son lit de planches surélevé. Sa pipe reposait brisée sur le foyer, en guise de vase brisé sur la source[1]. Ce dernier, à tout prendre, n’eût pu être le symbole de sa mort, car il me confessa que quoique ayant entendu parler de la Source de Brister, il ne l’avait jamais vue ; et des cartes souillées, rois de carreau, de pique, de cœur, semaient le plancher. Certain poulet noir, dont l’« administrateur »[2] ne put se saisir, noir comme la nuit et comme elle silencieux, ne caquetant même pas, attendant Renard, alla encore se jucher dans la pièce voisine. Par derrière se voyait le vague contour d’un jardin, qui bien que semé n’avait jamais reçu son premier coup de sarcloir, rapport à ces terribles accès de tremblement, tout alors au temps de la moisson qu’on fût. Il était, en fait de fruit, infesté d’armoise et d’herbe aux teigneux, qui, cette dernière, colla ses graines à mes vêtements pour tout fruit. La peau d’une marmotte était fraîche étendue au dos de la maison, trophée de son dernier Waterloo, mais de casquette chaude ou de mitaine plus n’aurait-il besoin.

Aujourd’hui, seule une empreinte dans la terre marque l’emplacement de ces habitations, avec les pierres de la cave ensevelies, et les fraisiers, les framboisiers, les noisetiers et les sumacs qui poussent là dans l’herbe ensoleillée ; quelque pitchpin ou chêne noueux occupe ce qui était l’enfoncement de la cheminée, et peut-être un bouleau noir embaumé se balance-t-il où était le pas de la porte. Parfois l’empreinte du puits est visible, où jadis filtrait une source ; aujourd’hui herbe sèche et sans larmes ; ou bien fut-il profondément recouvert – à ne se découvrir d’ici un jour lointain – d’une pierre plate sous l’herbe, quand s’en alla le dernier de la race. Quel geste mélancolique ce doit être, – le recouvrement du puits ! coïncidant avec l’ouverture du puits de larmes. Ces empreintes de caves, comme des terriers de renards abandonnés, vieux trous, sont tout ce qui reste où régnaient jadis le bruit et l’agitation de la vie humaine, et où « le destin, le libre arbitre, la prescience absolue »[3], sous telle ou telle forme, en tel ou tel dialecte, se voyaient tour à tour discutés. Mais tout ce que je peux savoir de leurs conclusions se réduit à ceci, que « Caton et Brister arrachaient la laine »[4] ; ce qui est à peu près aussi édifiant que l’histoire de plus fameuses écoles de philosophie.

  1. L’Ecclésiaste, ch. XII, vers. 7.
  2. Personnage désigné par la cour pour administrer les biens d’une personne morte.
  3. Milton, Paradis perdu.
  4. La laine arrachée à la peau des moutons morts a moins de valeur que celle qui provient de la tonte des moutons vivants.