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en novembre, je fréquentais le côté nord-est de Walden, dont le soleil, réfléchi des bois de pitchpin et du rivage de pierre, faisait le « coin du feu » de l’étang ; c’est tellement plus agréable et plus sain de se trouver chauffé par le soleil tant qu’on le peut, que par un feu artificiel. Je me chauffais ainsi aux cendres encore ardentes que l’été, comme un chasseur en allé, avait laissées.


Lorsque j’en vins à construire ma cheminée j’étudiai la maçonnerie. Mes briques, étant « d’occasion », réclamaient un nettoyage à la truelle, si bien que je m’instruisis plus qu’il n’est d’usage sur les qualités de briques et de truelles. Le mortier qui les recouvrait avait cinquante ans, et passait pour croître encore en dureté ; mais c’est là un de ces on-dit que les hommes se plaisent à répéter, vrais ou non. Ces on-dit-là croissent, eux aussi, en dureté pour adhérer plus fortement avec l’âge, et il faudrait plus d’un coup de truelle pour en nettoyer un vieux Salomon. Nombreux sont les villages de Mésopotamie construits de briques « d’occasion » de fort bonne qualité, tirées des ruines de Babylone, et le ciment qui les recouvre est encore plus vieux et probablement plus dur. Quoi qu’il en soit, je fus frappé de la trempe remarquable de l’acier qui résistait sans s’user à tant de coups violents. Comme mes briques avaient été déjà dans une cheminée, quoique je n’eusse pas lu sur elles le nom de Nabuchodonosor, je choisis autant de briques de foyer que j’en pus trouver, pour éviter travail et perte, et remplis les espaces laissés entre elle à l’aide de pierres prises à la rive de l’étang ; je fabriquai en outre mon mortier à l’aide du sable blanc tiré du même endroit. C’est au foyer que je m’attardai le plus, comme à la partie la plus vitale de la maison. Vraiment, je travaillais de propos si délibéré que, bien qu’ayant commencé à ras du sol le matin, une assise de briques érigée de quelques pouces au-dessus du plancher me servit d’oreiller le soir ; encore n’y attrapai-je pas le torticolis, autant que je m’en souvienne ; mon torticolis est de plus ancienne date. Vers cette époque je pris en pension pour une quinzaine de jours un poète[1], lequel j’eus grand embarras à caser. Il apporta son couteau, bien que j’en eusse deux, et nous les nettoyions en les fourrant dans la terre. Il partagea mes travaux de cuisine. J’étais charmé de voir mon œuvre s’ériger par degrés avec cette carrure et cette solidité, réfléchissant que si elle avançait lentement, elle était calculée pour durer longtemps. La cheminée est jusqu’à un certain point un édifice indépendant, qui prend le sol pour base et s’élève à travers la maison vers les cieux ; la maison a-t-elle brûlé que parfois la cheminée tient debout, et

  1. William Ellery Channing.