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souvent depuis vu sa fleur froncée de velours rouge supportée par les tiges d’autres plantes sans savoir que c’était elle. La culture est bien près de l’avoir exterminée. Elle a un goût sucré, un peu comme celui d’une pomme de terre gelée, et je la trouvai meilleure bouillie que rôtie. Ce tubercule semblait quelque vague promesse de la Nature de se charger de ses propres enfants et de les nourrir purement et simplement ici à quelque époque future. En ces temps de bétail à l’engrais et de champs onduleux de céréales, cette humble racine, qui fut jadis le totem d’une tribu indienne, se voit tout à fait oubliée, ou simplement connue pour son pampre fleuri ; mais que la Nature sauvage règne ici de nouveau, et voilà les délicates et opulentes céréales anglaises disparaître probablement devant une myriade d’ennemis, pour en l’absence des soins de l’homme, le corbeau reporter peut-être le dernier des grains de blé au grand champ de blé du Dieu des Indes dans le sud-ouest, d’où il passe pour l’avoir apporté ; alors que la noix de terre aujourd’hui presque exterminée pourra revivre, prospérer en dépit des gelées et de l’absence de culture, se montrer indigène, enfin reprendre importance et dignité comme aliment de la tribu des chasseurs. Sans doute quelque Cérès ou Minerve indienne en fut-elle l’inventeur et le dispensateur ; et lorsque commencera ici le règne de la poésie, ses feuilles et son chapelet de noix se verront-ils représentés sur nos œuvres d’art.

Déjà, vers le premier septembre, j’avais vu deux ou trois petits érables tourner à l’écarlate de l’autre côté de l’étang, au-dessous de l’endroit où trois trembles faisaient diverger leurs troncs blancs, à la pointe d’un promontoire, tout près de l’eau. Ah, que d’histoires contait leur couleur ! Et peu à peu de semaine en semaine le caractère de chaque arbre se révélait, et l’arbre s’admirait dans l’image à lui renvoyée par le miroir poli du lac. Chaque matin le directeur de cette galerie substituait quelque nouveau tableau, que distinguait un coloris plus brillant ou plus harmonieux, à l’ancien pendu aux murs.

Les guêpes vinrent par milliers à ma cabane en octobre, comme à des quartiers d’hiver, et s’installèrent sur mes fenêtres à l’intérieur, et sur les murs au-dessus de ma tête, faisant parfois reculer les visiteurs. Le matin, alors qu’elles étaient engourdies par le froid, j’en balayais dehors quelques-unes, mais je ne me mis guère en peine de m’en débarrasser ; je pris même pour compliment leur façon de considérer ma maison comme un souhaitable asile. Elles ne m’inquiétèrent jamais sérieusement, bien que partageant ma couche ; et elles disparurent peu à peu, dans je ne sais quelles crevasses, fuyant l’hiver, l’inexprimable froid.

Comme les guêpes, avant de prendre définitivement mes quartiers d’hiver