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souci, en obéissance à leur mère et à leur instinct, que de s’y accroupir sans peur et sans trembler. Si parfait est cet instinct qu’une fois, comme je les avais replacés sur les feuilles, et que par accident l’un d’eux tomba sur le côté, on le trouva avec les autres exactement dans la même position dix minutes plus tard. Ils ne sont pas sans plumes comme les petits de la plupart des oiseaux, mais plus parfaitement développés et plus précoces que les petits poulets eux-mêmes. L’étrange regard adulte quoique innocent de leurs beaux yeux tranquilles est on ne peut plus remarquable. Toute intelligence y semble reflétée. Ils font penser non pas simplement à la pureté de l’enfance, mais à une sagesse éclairée par l’expérience. Un œil pareil n’est point né en même temps que l’oiseau, mais est contemporain du ciel qu’il reflète. Les bois n’offrent pas de seconde gemme semblable. Rare est la source aussi limpide où plonge le regard du voyageur. Souvent il arrive que le chasseur ignare ou insouciant tire en pareil instant sur la mère, et laisse ces innocents à la merci de la bête de proie, ou peu à peu ne plus faire qu’un avec les feuilles mortes auxquelles tant ils ressemblent. On prétend que couvés par une poule ils se dispersent à la moindre alarme, et de la sorte se perdent, car le rappel de leur mère n’est plus là pour les rassembler de nouveau. C’étaient là mes poules et mes poussins.

C’est curieux le nombre d’animaux qui vivent sauvages et libres quoique ignorés dans les bois, et pourvoient encore à leurs besoins dans le voisinage des villes, soupçonnés des seuls chasseurs. Quelle vie retirée la loutre s’arrange pour mener ici ! Elle arrive à atteindre quatre pieds de long, la taille d’un petit garçon, sans peut-être qu’un œil humain en ait saisi un éclair. J’ai vu jadis le raton, dans les bois situés derrière l’endroit où ma maison est bâtie, et je crois l’avoir encore entendu hennir la nuit. En général, à midi, je me reposais une heure ou deux à l’ombre, après les plantations, prenais mon déjeuner et lisais un instant près d’une fontaine, source d’un marais et d’un ruisseau, qui sourdait de dessous la colline de Brister, à un demi-mille de mon champ. On accédait à celle-ci par une succession de vallons gazonnés, remplis de jeunes pitchpins, qui descendaient dans un bois plus grand avoisinant le marais. Là, en un endroit aussi retiré qu’ombreux, sous un pin Weymouth touffu, s’étendait même une belle pelouse ferme pour s’asseoir. J’avais creusé la fontaine, et fait un puits de belle eau azurée, d’où je pouvais tirer un plein seau sans la troubler, et là presque chaque jour allais-je à cet effet, au cœur de l’été, lorsque l’étang était le plus chaud. Là pareillement la bécasse menait sa couvée sonder la vase en quête de vers, volant à pas plus d’un pied au-dessus des petits à la descente du talus, tandis qu’ils couraient en troupe au-dessous d’elle ; mais à la fin, m’ayant aperçu,