Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/185

Cette page a été validée par deux contributeurs.

naître. Encore s’attendent-ils cependant à aller au ciel – un jour. Si la législature songe à lui, c’est avant tout pour réglementer le nombre des hameçons dont on doit s’y servir ; mais ils ne connaissent rien à l’hameçon des hameçons grâce auquel il s’agit de pêcher l’étang lui-même, en empalant la législature pour appât. Ainsi, il n’est pas jusque dans les sociétés civilisées, où l’homme embryonnaire ne passe par l’étape de développement de chasseur.

Je me suis aperçu à plusieurs reprises, ces dernières années, que je ne sais pêcher sans descendre un peu au regard du respect de soi-même. J’en ai fait et refait l’expérience. J’y montre de l’adresse, et, comme beaucoup de mes confrères, un certain instinct, qui se réveille de temps en temps, mais toujours la chose une fois faite je sens qu’il eût été mieux de ne point pêcher. Je crois ne pas me tromper. C’est une faible intimation, encore que telles se montrent les premières lueurs du matin. Il y a incontestablement en moi cet instinct qui appartient aux ordres inférieurs de la création ; toutefois chaque année me trouve-t-elle de moins en moins pêcheur, quoique sans plus d’humanité, voire même de sagesse ; pour le moment je ne suis pas pêcheur du tout. Mais je comprends que si je devais habiter un désert je me verrais de nouveau tenté de devenir pêcheur et chasseur pour tout de bon. D’ailleurs il y a quelque chose d’essentiellement malpropre dans cette nourriture comme dans toute chair, et je commençais à voir où commence le ménage, et d’où vient l’effort, qui coûte tant, pour montrer un aspect propre et convenable chaque jour, pour tenir la maison agréable et exempte de toutes odeurs, tous spectacles fâcheux. Ayant été mon propre boucher, laveur de vaisselle, cuisinier, aussi bien que le monsieur pour qui les mets étaient servis, je peux parler par expérience, expérience particulièrement complète. L’objection pratique à la nourriture animale dans mon cas était sa malpropreté ; en outre, lorsque j’avais pris, vidé, fait cuire et mangé mon poisson, il ne me semblait pas qu’il m’eût essentiellement nourri. Insignifiant et inutile, cela coûtait plus que cela ne valait. Un peu de pain ou quelques pommes de terre eussent rempli le même office, avec moins de peine et de saleté. Comme nombre de mes contemporains, j’avais, au cours de maintes années, rarement usé de nourriture animale, ou de thé, ou de café, etc. ; non pas tant à cause des effets nocifs que je leur attribuais, que parce qu’ils n’avaient rien d’agréable à mon imagination. La répugnance à la nourriture animale est non pas l’effet de l’expérience, mais un instinct. Il semblait plus beau de vivre de peu et faire mauvaise chère à beaucoup d’égards ; et quoique je ne m’y sois jamais résolu, j’allai assez loin dans cette voie pour contenter mon imagination. Je crois que l’homme qui s’est toujours appliqué à maintenir en la