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qu’il n’a pas autant de jours de fête publics qu’on en a en Angleterre, et qu’hommes et jeunes garçons ne jouent pas à autant de jeux qu’on y joue là-bas, pour ce qu’ici les plaisirs plus primitifs mais plus solitaires de la chasse, de la pêche, et autres semblables, n’ont pas cédé la place aux premiers. Il n’est guère de jeune garçon de la Nouvelle-Angleterre parmi mes contemporains, qui n’ait épaulé une carabine entre l’âge de dix et quatorze ans, et ses terrains de chasse et de pêche furent non point limités comme les réserves d’un grand seigneur anglais, mais sans plus de bornes même que ceux d’un sauvage. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’il ne soit pas plus souvent resté à jouer sur le pré communal. Mais voici qu’un changement se fait sentir, dû non pas à plus d’humanité, mais à plus de rareté du gibier, car peut-être le chasseur est-il le plus grand ami des animaux chassés, sans excepter la « Humane Society »[1].

En outre, une fois à l’étang, il m’arrivait de vouloir ajouter du poisson à mon menu pour varier. C’est à vrai dire grâce au genre de nécessité qui poussa les premiers pêcheurs que moi-même je me suis livré à la pêche. Quelque sentiment d’humanité auquel j’aie pu faire appel contre cela, toujours il fut factice, et concerna ma philosophie plus que mes sentiments. Je ne parle ici que de la pêche, car il y avait longtemps que je sentais différemment à l’égard de la chasse aux oiseaux, et j’avais vendu ma carabine avant de gagner les bois. Non pas que je sois moins humain que d’autres, mais je ne m’apercevais pas que mes sentiments en fussent particulièrement affectés. Je ne m’apitoyais ni sur les poissons ni sur les vers. C’était affaire d’habitude. Pour ce qui est de la chasse aux oiseaux, pendant les dernières années que je portai une carabine, j’eus pour excuse que j’étudiais l’ornithologie, et recherchais les seuls oiseaux nouveaux ou rares. Mais j’incline maintenant à penser, je le confesse, qu’il est une plus belle manière que celle-ci d’étudier l’ornithologie. Elle requiert une attention tellement plus scrupuleuse des mœurs des oiseaux, que, fût-ce pour cet unique motif, je m’empressai de négliger la carabine. Toutefois, en dépit de l’objection relative au sentiment d’humanité, je me vois contraint à douter si jamais exercices d’une valeur égale à ceux-là pourront jamais leur être substitués ; et chaque fois qu’un de mes amis m’a demandé avec inquiétude, au sujet de ses garçons, si on devait les laisser chasser, j’ai répondu oui, – me rappelant que ce fut l’un des meilleurs côtés de mon éducation, – faites-en des chasseurs, encore que simples amateurs de sport pour commencer, si possible, de puissants chasseurs[2] pour finir, au point qu’ils ne trouvent plus de gibier assez gros

  1. Nom de société protectrice des animaux.
  2. Genèse.