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ou fines racines, d’ériocaule peut-être, d’un demi-pouce à quatre pouces de diamètre et parfaitement sphériques. Elles vont et viennent sur les hauts-fonds de sable, et se trouvent parfois rejetées sur la rive. Elles sont tout herbe ou pourvues d’un peu de sable au milieu. Au premier abord on les dirait façonnées par l’action des vagues, comme un galet ; les plus petites elles-mêmes sont faites d’éléments tout aussi grossiers, d’un demi-pouce de long. Elles ne se produisent qu’à une seule saison de l’année. D’ailleurs, les vagues, j’imagine, construisent moins qu’elles n’usent une matière qui a déjà acquis de la consistance. Ces boules, une fois sèches, conservent leur forme durant un temps indéfini.

L’Étang de Flint ! Telle est la pauvreté de notre nomenclature. De quel droit l’immonde et stupide fermier, qui a dénudé sans pitié les bords de cette eau d’azur où sa ferme aboutissait, lui a-t-il donné son nom ? Quelque skin-flint (fesse-mathieu), qui aimait mieux la surface réfléchissante d’un dollar, ou un sou bien luisant, dans lequel mirer sa propre face endurcie ; pour qui il n’était pas jusqu’aux canards sauvages venus là se poser qui ne fussent des intrus ; les doigts changés en serres crochues et cornées par la longue habitude de saisir en harpie ; – aussi n’en est-ce pas le nom pour moi. Je ne vais pas là pour voir cet homme ni entendre parler de lui ; lui qui jamais ne le vit, jamais ne s’y baigna, jamais ne l’aima, jamais ne le protégea, plus que ne trouva une bonne parole à en dire, ni ne remercia Dieu de l’avoir fait. Qu’on donne à l’étang plutôt le nom des poissons qui nagent dedans, des oiseaux ou quadrupèdes sauvages qui le fréquentent, des fleurs sauvages qui croissent sur ses rives, ou de quelque homme ou enfant sauvage dont le fil de l’histoire soit tissé avec le sien ; non pas de celui qui ne pouvait montrer d’autre titre à sa possession que l’acte à lui donné par un voisin ou une législature de même âme – de celui qui ne pensait qu’à sa valeur pécuniaire et dont la présence peut-être porta malheur à toute la rive ; qui pompa la terre tout autour, et en eût volontiers pompé dedans les eaux ; qui regrettait seulement que ce ne fût pas foin anglais ou marais à canneberges – il n’y avait, parbleu, rien à ses yeux pour le racheter –, et l’eût desséché et vendu pour la vase qui était au fond. Il ne faisait pas tourner son moulin, et ce n’était nul privilège sien de le contempler. Non, je ne respecte pas les travaux, la ferme de cet homme, où il n’est rien qui ne soit coté à son prix, de cet homme qui porterait le paysage, porterait son Dieu, au marché, s’il pouvait en tirer quelque chose ; qui va au marché, oui-da, en quête de son dieu ; sur la ferme de qui rien ne croît en liberté, dont les champs ne portent pour récolte, les prés pour fleurs, les arbres pour fruits, que des dollars ; qui n’aime pas d’amour la beauté de ses fruits, et pour qui ces fruits ne sont mûrs qu’une