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fermais ma porte, la nuit pas plus que le jour, dussé-je rester plusieurs jours absent ; pas même lorsqu’à l’automne suivant j’en passai une quinzaine dans les bois du Maine. Et cependant ma maison était plus respectée que si elle eût été entourée d’une file de soldats. Le promeneur fatigué pouvait se reposer et se chauffer près de mon feu, le lettré s’amuser avec les quelques bouquins qui se trouvaient sur ma table, ou le curieux, en ouvrant la porte de mon placard, voir ce qui restait de mon dîner, et quelle perspective j’avais de souper. Or je dois dire que si nombre de gens de toute classe prenaient ce chemin pour venir à l’étang, je ne souffris d’aucune incommodité sérieuse de ce côté-là, et jamais ne m’aperçus de l’absence de rien que d’un petit livre, un volume d’Homère, qui peut-être à tort était doré, et pour ce qui est de lui, j’espère que c’est un soldat de notre camp[1] qui vers ce temps l’a trouvé. Je suis convaincu que si tout le monde devait vivre aussi simplement qu’alors je faisais, le vol et la rapine seraient inconnus. Ceux-ci ne se produisent que dans les communautés où certains possèdent plus qu’il n’est suffisant, pendant que d’autres n’ont pas assez. Les Homères de Pope[2] ne tarderaient pas à se voir convenablement répartis :

_____« Nec bella fuerunt,
Faginus astabat dum scyphus ante dapes.[3]

_____« De guerre ne sut être
Tant que seule en honneur fut l’écuelle de hêtre. »

« Vous qui gouvernez les affaires publiques, quel besoin d’employer le châtiment ? Aimez la vertu, et le peuple sera vertueux. Les vertus d’un homme supérieur sont comme le vent ; les vertus d’un homme ordinaire sont comme l’herbe ; l’herbe, lorsque le vent passe sur elle, se courbe[4]. »

  1. C’est-à-dire quelqu’un capable d’apprécier le livre.
  2. Pope a traduit Homère en anglais.
  3. Tibulle, liv. I, Élégie X.
  4. Analectes de Confucius. Livre XII, ch. 19.