de nord-ouest qui éprouvaient si fort les maisons du village, et où les servantes se tenaient balai et seau en main dans les entrées de devant, prêtes à repousser le déluge, je me tenais assis dans ma petite maison derrière la porte, qui en était toute l’entrée, et jouissais pleinement de sa protection. En un fort orage accompagné de tonnerre, la foudre frappa un grand pitchpin de l’autre côté de l’étang, le sillonnant du haut en bas en une spirale fort nette et parfaitement régulière, profonde d’un pouce au moins, et large de trois ou quatre, comme on entaillerait une canne. Je passai encore devant l’autre jour, et fus frappé de terreur en levant les yeux et contemplant cette empreinte, aujourd’hui plus distincte que jamais, souvenir d’un terrible et irrésistible coup de foudre descendu du ciel innocent il y a huit ans. Bien souvent je m’entends dire : « J’aurais pensé que vous vous sentiriez seul là-bas, et seriez pris du besoin de vous rapprocher des gens, surtout les jours et nuits de pluie et de neige. » Je suis tenté de répondre à cela : Cette terre tout entière que nous habitons n’est qu’un point dans l’espace. À quelle distance l’un de l’autre, selon vous, demeurent les deux plus distants habitants de l’étoile là-haut, dont le disque ne peut voir apprécier sa largeur par nos instruments ? Pourquoi me sentirais-je seul ? notre planète n’est-elle pas dans la Voie Lactée ? Cette question que vous posez là me semble n’être pas la plus importante. Quelle sorte d’espace est celui qui sépare un homme de ses semblables et le rend solitaire ? Je me suis aperçu que nul exercice des jambes ne saurait rapprocher beaucoup deux esprits l’un de l’autre. Près de quoi désirons-nous le plus habiter ? Sûrement pas auprès de beaucoup d’hommes, de la gare, de la poste, du cabaret, du temple, de l’école, de l’épicerie, de Beacon Hill[1], ou de Five Points[2], lieux ordinaires d’assemblée, mais près de la source éternelle de notre vie, d’où en toute notre expérience nous nous sommes aperçus qu’elle jaillissait, comme le saule s’élève près de l’eau et projette ses racines dans cette direction. La susdite variera selon les différentes natures, mais elle est l’endroit où un sage creusera sa cave… Un soir je rejoignis sur la route de Walden certain de mes concitoyens, qui a, comme on dit, « amassé du bien », – quoique je n’aie jamais aperçu de cela nettement le bien, – conduisant une paire de bœufs au marché, et il voulut savoir comment je pouvais faire pour renoncer à tant de commodités de la vie. Je répondis que j’étais très sûr de l’aimer assez telle qu’elle était ; je ne plaisantais pas. Sur quoi je rentrai pour me coucher, le laissant se frayer un chemin à travers l’obscurité et la boue
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