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autres oiseaux, – pensez-y ! Cela mettrait les nations sur le qui-vive. Quel homme ne serait matinal, et ne le serait de plus en plus chaque jour successif de sa vie, jusqu’à devenir indiciblement sain, riche et sage ?[1] Ce chant d’oiseau étranger est célébré par les poètes de tous pays parallèlement aux chants de leurs chantres naturels. Tous les climats agréent au vaillant Chantecler. Il est plus indigène même que les naturels. Sa santé toujours est parfaite ; ses poumons sont solides, ses esprits jamais ne s’affaissent. Il n’est pas jusqu’au marin sur l’Atlantique et le Pacifique qui ne s’éveille à sa voix ; mais jamais son bruit strident ne me tira de mon sommeil. Je n’entretenais chien, chat, vache, cochon, ni poule, de sorte que cela vous eût paru manquer de bruits domestiques ; ni la baratte, ni le rouet, ni même le chant de la bouillotte, ni le sifflement de la fontaine à thé, ni cris d’enfants, pour vous consoler. Un homme de l’ancien régime en eût perdu la tête ou fût mort d’ennui. Pas même de rats dans le mur, car la faim les avait fait fuir, ou plutôt nul appât ne les y avait attirés, – rien que des écureuils sur le toit et sous le plancher, un whip-pour-will sur le faîte, un geai bleu criant sous la fenêtre, un lièvre ou une marmotte tapis sous la maison, un petit-duc, ou un grand-duc, domiciliés derrière elle, une troupe d’oies sauvages, ou un plongeon avec son rire sur l’étang, et un renard pour aboyer dans la nuit. Il n’était même pas une alouette des prés, pas un loriot, ces doux oiseaux de la plantation, pour jamais visiter mon défrichement. Pas de coqs pour cocoriquer en ce moment ni de poules pour caqueter dans la cour de ferme. Pas de cour de ferme ! mais la libre Nature venant battre à votre seuil même. Une jeune forêt poussant sous vos fenêtres, les sumacs sauvages et les ronces forçant votre cave ; de résolus pitchpins frottant et craquant contre les bardeaux, en quête de place, leurs racines en train de gagner le dessous même de la maison. En guise de seau à charbon ou de volet que le vent a fait tomber, – un pin cassé net ou les racines en l’air derrière votre demeure pour combustible. En guise de pas de sentier conduisant à la barrière de la cour d’entrée pendant la Grande Neige, – pas de barrière, – pas de cour d’entrée – et pas de sentier vers le monde civilisé !

  1. Benjamin Franklin.