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ii. — rivalen et blancheflor

de vous ! Si Dieu ne vient à mon aide et ne me tire de peine, je n’aurai plus jamais de joie, ni nul espoir de trouver aucun secours, *|| et je mourrai à cause de vous, car aux peines anciennes vont s’ajouter de nouvelles misères. Malheureuse si vous partez, malheureuse (bien que votre présence me soit chère) si vous restez, je ne sais choisir entre ces deux tourments. Vous parti, j’aurais pu essayer de reprendre patience et courage, si je n’étais grosse ; mais je porte un enfant, et restée seule ici, il me faudra subir le châtiment de vous avoir connu. Mieux vaut pourtant qu’il en soit ainsi et que vous ne demeuriez pas sur cette terre ; si vous restiez, vous risqueriez avec moi une mort indigne ; j’aime mieux l’affronter seule pour vous, doux ami, et qu’innocent vous ne mouriez pas comme moi. Ainsi votre départ me promet une grande consolation, puisque vous échapperez à la mort qui vous menace ici : elle ferait un orphelin de notre enfant, qui doit pourtant tenir un jour de son père l’honneur et le rang qui conviennent. Et puis, j’aurais trop de regret à voir périr en vous tant de sens, de courtoisie, de prouesse. Je me suis déçue et trompée moi-même, et c’est pourquoi je suis maintenant perdue ! »[1].

  1. On est réduit pour ce discours aux seules données de la saga, car Gottfried concorde exactement au début avec elle, mais bientôt l’abandonne. Or la saga, en son texte original, est vraiment incohérente, et si nous l’avions traduite ici mot pour mot, on verrait que la suite des propos de Blancheflor y est presque inintelligible. À considérer pourtant de plus près ce passage, on arrive à cette opinion vraisemblable que frère Robert n’a pas dû procéder ici par voie de coupures, de suppressions brutales ; il a seulement traduit négligemment et machinalement, sans observer la suite des pensées. Un ou deux vers omis çà et là, l’accent de telle phrase mis à contre-sens sur une incidente, l’obscurité de tout le passage est résultée de ces menues infidélités successives. Si on interprète convenablement son texte, comme nous y avons tâché, on parvient, sans trop lui faire violence, en apportant