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ducteur : ce qu’il conserve de l’original, il le rend souvent mot pour mot. Dès lors, prenant la saga comme base, il est légitime de donner à une reconstruction conjecturale du poème de Thomas non pas la forme d’un résumé schématique, mais celle d’une narration suivie.

Mais frère Robert est en même temps un abréviateur : il a coupé et taillé très librement. Si presque tout ce qui est dans la saga était dans le poème de Thomas, la réciproque est loin d’être vraie : la saga a rejeté plus de la moitié des vers originaux, soit — selon notre calcul — environ dix mille vers, et ces coupures ont entraîné frère Robert, plus souvent qu’on n’imaginerait, à modifier les données des épisodes par lui conservés. Le poème de Gottfried, le Sir Tristrem, à l’occasion la Folie Tristan et la Tavola ritonda, appelés à témoin, nous permettront de retrouver partiellement les passages sacrifiés, et lorsque la saga modifie les données de fait et la marche même du roman, de restaurer la leçon primitive.

Cette restitution s’opère d’elle-même et presque mécaniquement aussi souvent que deux au moins de nos cinq textes sont d’accord contre les autres, qui offrent alors des versions divergentes entre elles. Mais presque à chaque page il arrive (la Tavola ritonda et la Folie Tristan faisant le plus souvent défaut pour le contrôle), que les trois autres textes nous donnent trois versions différentes d’un même épisode. Comment choisir ? La justesse du choix dépend de la représentation plus ou moins exacte qu’on se sera faite des tendances propres à chacun des remanieurs, de ses pro-