restreint, par suite, sans doute, de leur prix ou de la difficulté
qu’il y avait à s’en procurer.
On a toujours cru que ces peaux de couleur venaient alors exclusivement de Turquie ou d’Espagne, mais un passage de Rabelais démontre qu’on en fabriquait aussi en France et d’excellente qualité. Le fait est constaté dans le marché traité par Panurge avec Dindenault pour l’achat d’un de ses moutons. Dindenault n’a garde de dire son prix du premier coup, et pour en faire accepter plus facilement l’exagération qu’il va lui donner, énumère longuement les qualités de ses animaux : leur laine peut servir à faire du drap de Rouen ; leurs boyaux feront des cordes de violons aussi bonnes que celles de Munican ou Aquileie[1] ; leurs cornes enterrées au soleil et bien arrosées produiront les meilleures asperges, etc., etc. Enfin, dit-il, « de leur peau seront faits les beaux marroquins, lesquelz on vendra pour marroquins Turquins, ou de Montelimart, ou de Espagne pour le pire ». (Le Gargantua et le Pantagruel, livre IV, chap. vi.)
Il semble donc qu’on fabriquait des maroquins en France, particulièrement à Montélimar, dont les produits, on le voit, sont fort vantés par Rabelais, véritable autorité encyclopédique pour son temps[2].
Mais le maroquin devait être d’un prix assez élevé, car, jusqu’en 1575 environ, on en consomma relativement peu pour les livres ; même après cette date, et quoiqu’on s’en servît plus
- ↑ Les cordes de boyaux de Munich, au dire d’Adrien Leroy dans son Traité du luth de 1557, étaient non moins renommées au xvie siècle que celles d’Aquila ; ces dernières, du reste, sous le nom de cordes de Naples, sont encore en grande réputation.
- ↑ La fabrication du maroquin se maintint longtemps à Montélimar ; les eaux, en effet, y sont très favorables au tannage, de même que la culture du sumac, faite dans les environs après son introduction en France, y réussit admirablement. On voit encore, par le genre de construction des maisons bordant le canal qui traverse la ville, qu’elles furent élevées en vue de la mégisserie et de la tannerie. Avec le temps, cette industrie périclita dans le pays à diverses reprises pour en arriver de nos jours à une production restreinte. Les peaux, expédiées au dehors après le tannage, ne sont même plus mises en couleur à Montélimar. — Ces renseignements nous ont été donnés avec la plus exquise obligeance par M. E. Mazoyer fils, de Montélimar, auquel nous nous étions adressé après notre lecture du passage de Rabelais ; nous l’en remercions ici bien sincèrement.