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sations, semble avoir exagéré, dans un éloquent et souvent profond article sur l’Identité et la Fusion des arts, des idées auxquelles on croit reconnaître des racines mallarméennes.

« J’ai souvent pensé qu’on pourrait entreprendre un ouvrage d’une incroyable puissance, qui serait un Dictionnaire des Analogies. Un tel ouvrage serait pour ainsi dire le résultat de la vision des poètes devant les divers règnes que nous avons établis dans la nature pour mettre de l’ordre dans nos recherches, et il participerait des sciences autant que des arts. Il serait non seulement le répertoire des images poétiques réalisées jusqu’à ce jour, mais encore un classement raisonné des formes et de leurs rapports, selon tout ce que la science peut et pourra nous en apprendre... La question de l’unité dans le multiple est la racine de toute philosophie, de tout art, de toute science, de toute critique, et au fond il n’y a qu’un sujet, c’est celui-là[1].» Et M. Mauclair en conclut à une nécessaire Critique des Identités, le contraire exactement de la critique au sens pur du mot. La vérité est qu’au lieu d’un sujet il y en a deux, celui-là et son contraire, la synthèse, le plus souvent individuelle et provisoire, et l’analyse, — la montée et la descente de Sisyphe. Toutes deux s’impliquent et s’appellent : l’une achevée ou plutôt entreprise, il faut la quitter pour le travail opposé. Chercher, par exemple, comme le veut M. Mauclair, à une œuvre de poésie ses « analogies » en peinture ou en musique, et faire de cette recherche des identités le tout de la critique, c’est commencer par la fin, vendre la peau de l’ours, comparer avant de comprendre.

Et cette synthèse d’un de ses disciples les plus intelligents contribue à me faire supposer (je me trompe peut- être) que la recherche des analogies était chez Mallarmé la tentation dangereuse de sa nature, le démon de l’analogie son malin génie. Des analogies ténues, capri-

  1. Idées Vivantes, p. 239.