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part. De plus il s’en sert toujours pour une fin plus noble qu’elle. La physionomie de Mallarmé, quels indices en trahit-elle ?

Observons, dans les pièces baudelairiennes du début, une certaine outrance froide de l’expression, l’héritage des Litanies de Satan et de la Charogne.

Et toi, sors des étangs letheéns et ramasse
En t’en venant la vase et les pâles roseaux,
Cher Ennui, pour boucher d’une main jamais lasse
Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux.

(L’Azur.)

Aumône étrange du sac d’or au mendiant.

Je hais l’aumône utile et veux que tu m’oublies
Et surtout ne va pas, drôle, acheter du pain.

devenu dans la dernière variante :

Et surtout ne va pas, frère, acheter du pain.

Baudelaire aurait donné peut-être plusieurs fleurs du Mal pour avoir trouvé le dernier vers d’Angoisse.

Et j’ai peur de mourir lorsque je couche seul.

Mais à partir de l’Après-Midi d’un Faune le goût plus délicat de Mallarmé renonce à l’apparence de cet excès. À une époque où ceux qui l’approchent ne gardent que l’impression de discipline intérieure, de délicatesse et de conscience, il baisse d’un doigt léger la lampe qui file, éteint autour de lui les couleurs crues.

Dans ce beau sourire du maître, ne demeure-t-il pas, sinon un penchant à mystifier, du moins une intelligence de n’être pas dupe ? Peut-être... Il lisait tout ce qu’on lui envoyait et dans ses réponses, naïvement colportées par leurs destinataires, quelle ironie discrète circule souvent en sourdine !...

Et un lecteur peut-être se demande si je viens enfin à la mystification la plus palpable de Mallarmé, à savoir